Écho de presse

France-Angleterre 1921 : le match du centenaire de la mort de Napoléon

le 05/06/2021 par Lucas Alves Murillo
le 29/05/2021 par Lucas Alves Murillo - modifié le 05/06/2021

5 mai 1921. L’Équipe de France de football l’emportait pour la toute première fois contre son homologue anglaise. Cette victoire sensationnelle, car inattendue en plus d’être inédite, coïncide avec le centenaire de la mort de Napoléon Bonaparte. Le « plus grand match de la saison » et cette journée renferment nombre de symboles que la presse, généraliste et sportive, se charge d’exposer.

Dans un contexte national hautement allégorique, le match entre les deux sélections se dispute au Stade Pershing, dans le bois de Vincennes. Auparavant, la journée et la veille sont marquées par de nombreuses et diverses commémorations, à Notre-Dame, à l’Hôtel des Invalides mais également à Ajaccio.

En effet, dans l’après-midi du 4 mai 1921, le maréchal Franchet d’Esperey est reçu par le maire d’Ajaccio dans les salons de l’Hôtel de ville. Par la suite, ce dernier se rend à pied jusqu’à la maison natale de Napoléon Bonaparte, qu’il visita « en détail » et en compagnie d’une foule qui lui fit « sur tout le parcours une enthousiaste ovation », comme rapporté dans Le Petit Parisien du 5 mai.

À Paris cette fois, une cérémonie prend place au sein de la cathédrale Notre-Dame. L’Éclair évoque un rituel funèbre marqué par « les beautés éclatantes de la musique de Berlioz et Mozart » ainsi que par « la vigueur de la parole portée par un prêtre qui fut un magnifique soldat ». Le président de la République, Alexandre Millerand, est présent en compagnie de son épouse. Dans l’assistance, on retrouve également des personnalités princières, tout comme certains des militaires français les plus importants que sont les maréchaux Emile Fayolle et Philippe Pétain.

Le lendemain à 10h30, et avec la présence du Ministre de la Guerre Louis Barthou, un défilé militaire était organisé devant l’Arc de Triomphe. Ce dernier fut suivi d’un recueillement face à la tombe du soldat inconnu, dont la sépulture existait depuis un peu moins de six mois. En cette journée particulière, ces cérémonies et ce recueillement rappellent les stigmates d’un pays durement éprouvé par la Première Guerre mondiale et dont le souvenir de la défaite de 1870 reste vif.

Le souvenir napoléonien, ainsi que le fait guerrier, s’invitent dans le sport français. La rencontre du jour, opposant le « team » français au « team » anglais, ne peut en réchapper.

Dans cet esprit, L’Auto, tout en présentant les joueurs et le match, inaugure une rubrique spécialement pour l’occasion et s’intitulant sobrement « Napoléon et le Sport ». Dans celle-ci, l’auteur tente de démontrer les liens qui unissent le sport et l’ancien empereur, malgré l’anachronisme latent issu de cette association : « Mais, diront les sceptiques, ni le mot ni la chose n’existaient de son temps. Le mot peut-être ; mais le sport lui-même n’est-il pas éternel ? ». Par la suite, le lien est fait entre guerre et culture physique. On peut lire que cette dernière « hantait le jeune Bonaparte » et que l’homme « savait stimuler chez les autres l’entraînement musculaire et l’émulation, cet orgueil du sportif ».

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Dans leurs colonnes nous apprenons aussi que la figure impériale est directement associée à la rencontre internationale de la journée. En effet, « la coïncidence des dates a amené la F.F.F.A à demander le patronage du Comité du centenaire de Napoléon Ier. C’est sous ces auspices que se déroulera la rencontre qui scellera une fois de plus les indissolubles liens d’amitié qui unissent aujourd’hui aux anglais ». La F.F.F.A, ou Fédération Française de Football Association, étant l’ancêtre direct de la F.F.F actuelle. Il en est de même pour le pouvoir politique de la IIIème République, par l’intermédiaire due son président « qui a bien voulu accorder son haut patronage à la F.F.F.A., l’a informée que ne pouvant assister à cette importante manifestation, il avait chargé le général Lasson, le secrétaire général de la présidence et chef de la maison militaire, de le représenter ».

Le Petit Parisien, en plus de qualifier le match du « plus sensationnel de la saison », indique qu’ « avant la grande rencontre, la finale du championnat de France intercorps d’armée sera jouée entre l’Ecole Polytechnique et le 12ème Régiment d’infanterie ». Une telle programmation et son rappel dans la presse, est un autre exemple du lien que nouent le sport et la guerre.

Au Stade Pershing se sont près de 40 000 personnes qui s’agglutinent afin de regarder entrer les vingt-deux joueurs, tout de blanc pour les Anglais et en bleu pour les joueurs tricolores. Les tribunes débordent et des spectateurs sont assis sur le bord du terrain, comme en témoignent certaines photographies de presse. Le quotidien Excelsior explique une telle disposition par les « quelques 5000 spectateurs qui entrèrent sans bourse (…) après avoir eu raison des solides barrières ».

Nombreux sont les militaires à se trouver dans le stade, à l’instar du colonel Bonvalot, directeur de l'École normale militaire de gymnastique de Joinville, mais aussi et surtout, « la compagnie de fusiliers marins qui défila le matin aux Invalides, et qui se débrouilla pour gagner à temps le stade de Vincennes ».

Sur le terrain, on peut noter l’absence de Pierre Chayriguès, gardien de l’Équipe de France et du Red Star depuis l’avant-guerre. Son coéquipier Lucien Gamblin est quant à lui bien présent et capitaine pour cette rencontre. Raymond Dubly, roubaisien et l’un des rares non franciliens de la sélection est aussi de la partie, en compagnie, notamment, de Jean Boyer, Philippe Bonnardel et Jules Devaquez. Ces derniers évoluent respectivement au VGA Médoc, au Red Star et à l’Olympique. En l’absence de Chayriguès, Maurice Cottenet, également de l’Olympique, garde les cages françaises.

Durant la rencontre, les Français sont dominateurs. Certains titres utilisent un vocabulaire sportif de guerre, un procédé qui s’est largement répandu au cours de la Première Guerre mondiale. C’est le cas du quotidien Le Gaulois, un temps bonapartiste, qui écrit : « Le coup d’envoi, donné par l’Angleterre, porte immédiatement les opérations dans le camp français ».

Le premier but est français. Il est inscrit par Jules Devaquez, parfaitement servi par un centre de Raymond Dubly. Le gardien anglais, Coleman, ne peut rien faire et selon L’Auto, le joueur français frappa la balle si fortement que les « poteaux semblèrent osciller ». Les Anglais égalisèrent rapidement, laissant les deux équipes dos à dos à la mi-temps.

En seconde période, une nouvelle fois, le salut français provient d’un exploit du roubaisien : « Dubly tenta soudain un but à 40 mètres. Coleman, étonné, arrêta cependant, mais son dégagement permit une nouvelle ouverture sur notre aillier gauche […] et réussit à courte distance de la ligne de but un centre d’une précision admirable. Boyer, qui poussa d’un bel élan vers le centre, reprit de volée et ne laissa aucune chance à Coleman ».

La France l’emporte sur le score de deux buts à un. Excelsior décrit une « foule enthousiaste »  qui avait « envahit le terrain » au coup de sifflet final. Le quotidien explique cette joie comme celle « de tous les pratiquants parisiens du ballon rond, heureux de voir le football français enfin parvenu à la consécration ».

L’Auto, au lendemain de la victoire et toute aussi dithyrambique : « Bravo ! Gloire aux onze équipiers qui donnent au football français un tel honneur ! ». Lucien Gamblin, interrogé par le grand titre sportif après la rencontre, n’en pensait pas moins : « Je suis au comble de la joie. Tous nos hommes ont joué avec un coeur parfait. Nous pouvons maintenant penser à affronter nos adversaires chez eux ». Son homologue anglais est surpris et décrit un football français qui «  a fait des progrès considérables ». Le périodique Le Miroir des Sports, une semaine plus tard, rapporte qu’« on disait que le public (…) bouderait l’est de la capitale et le bois de Vincennes, au fond duquel se trouve le Stade Pershing : il n’en fut rien. On disait aussi que seul le rugby faisait recette en France : encore une légende qui s’en est allée ».

Ces observations, écrites par la main de Gabriel Hanot, ancien joueur et capitaine de l’Équipe de France, remettent en perspective la considération portée à la sélection et au football français plus généralement. Si ce succès est si retentissant, c’est qu’il n’était en aucun cas, vraiment attendu. On pouvait par exemple lire la chose suivante le jour de la rencontre dans L’Auto du jour : « Nous pouvons même espérer vaincre. Oh ! C’est évidement un espoir fragile et la raison nous commande de pronostiquer plutôt la défaite des tricolores ». Tout en espérant que le public « comprenne bien l’immense portée de cette rencontre ». Le Miroir des Sports, bien qu’optimiste le 5 mai, rappelait tout de même les « mauvaises exhibitions contre l’Italie et l’Irlande ». Beaucoup de titres, sportifs et généralistes, redoutaient une énième défaite face à l’Angleterre, qui avait remporté toutes les précédentes oppositions.

Dans son édition du 5 mai, en plus d’espérer une victoire malgré ses doutes, L’Auto annonçait que la « lutte cordiale de vingt-deux jeunes gens des deux pays prendra une signification plus haute et réconfortante aux heures difficiles que nous traversons ». Un souhait faisant sûrement référence au contexte international.

Le 6 mai, en une de la plupart des journaux français, les commémorations napoléoniennes et l’exploit sportif de la veille étaient accompagnés par la publication de la déclaration commune des Alliés à l’attention de l’Allemagne. Celle-ci entendait imposer un ultimatum à l’adresse du gouvernement allemand, sommé « de se soumettre dans un délai de six jours ». Les demandes concernaient l’application d’articles du traité de Versailles, notamment le désarmement et le versement de sommes réparatrices. Les Alliés, en cas de refus, se disent à prêts à « procéder, le 12 mai, à l’occupation de la vallée de la Rhur et de prendre toutes autres mesures militaires et navales ».

Ce contexte européen largement sous tension, entretient la peur d’une nouvelle mobilisation, qui serait suivie d’un nouveau conflit. Une situation dénoncée par L’Humanité, le 6 mai : « Nous savons de source certaine qu’au ministère de la Guerre on considère que la classe 19 ne suffira pas aux opérations projetées. On prépare la mobilisation de classes nouvelles. On a envoyé toutes les instructions nécessaires pour que le lancement des ordres d’appel puisse être étendu rapidement jusqu’à la classe 1911 ».

La première victoire de l’Équipe de France face à la nation considérée comme celle jouissant de la paternité du football sous sa forme moderne, le contexte national et européen et la couverture médiatique démontre le tournant que furent les années 1910 et 1920 pour le football français. Celui-ci est devenu une véritable culture de masse, en témoigne l’affluence au Stade Pershing, et dont la spectacularisation s’affirmait. Le Petit Parisien résumait ainsi la chose le 6 mai : « Il y a peu d’années, quand un match international de football se disputait, quelques centaines de personnes y assistaient ; nos joueurs, généralement, étaient écrasés par leurs adversaires… et c’était tout comme résultat ».

Pour en savoir plus :

François da Rocha Carneiro, « Reprendre le match : Reconstruction sportive et administration du football français en 1919 », Historiens et Géographes, n°448, novembre 2019, p.33-36.

Olivier Hoibian et Serge Vaucelle, « Les exercices au grand air des lycéens (1820-1880) : un effet des campagnes hygiénistes du début du XIXème siècle ? », Revue d’histoire moderne & contemporaine, n°66, février 2019, p.116-140

Tony Mason, « Le ballon et les gants de Tommy Atkins. Le sport dans l’armée britannique pendant la Grande Guerre », Guerres mondiales et conflits contemporains, n°251, mars 2013, p.59-75