Carte Blanche

Nota Bene : « Dans mes recherches, l’humain est un facteur central »

le 16/05/2023 par Benjamin Brillaud, William Blanc
le 05/05/2023 par Benjamin Brillaud, William Blanc - modifié le 16/05/2023
Carte blanche à Nota Bene sur RetroNews - source photographie : copyright Benjamin Brillaud
Carte blanche à Nota Bene sur RetroNews - source photographie : copyright Benjamin Brillaud

Cette semaine, RetroNews donne carte blanche à Benjamin Brillaud, alias Nota Bene, pour partager avec les lectrices et les lecteurs de RetroNews sa vision de l’histoire, pour parler du rôle de la vulgarisation dans notre société, de quelques rencontres et projets marquants....

LES CARTES BLANCHES RETRONEWS

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Vidéaste partageant sa passion de l’Histoire depuis près de neuf ans sur de nombreuses plateformes et à travers plusieurs livres et bandes dessinées, Benjamin Brillaud se livre au jeu d'un entretien qui, à son image, s’est voulu décontracté. Il faut dire que pour l’interroger, RetroNews a fait appel à l’un de ses collaborateurs, William Blanc, qui travaille également de manière régulière avec Nota Bene. Le tutoiement est donc de rigueur… et l’humour aussi !

RetroNews : Commençons par une question classique. Pourquoi t’être intéressé à l’histoire ?

Nota Bene : Le chômage [rires !]. Gamin, je n’étais pas un grand passionné d’histoire parce que je ne viens pas d’une famille qui mettait l’accent sur l’éducation intellectuelle ou culturelle. Mes parents m’emmenaient au musée une fois de temps en temps, mais ça restait anecdotique. L’histoire, j’y ai surtout eu accès à l’école. C’était une matière que j’aimais bien, sans être ma préférée, et je m’en accommodais très bien. J’ai commencé vraiment à apprécier l’histoire avec le cinéma, avec les films de Mel Gibson comme Braveheart, The Patriot, bref des visions très romancées du passé. Des séries de jeux vidéos comme Total War par exemple, ont aussi beaucoup fait pour exciter ma curiosité. Ajoutons à cela que j’ai été attiré depuis mon enfance par les univers de fantasy où les références historiques occupent une place prépondérante. Tout ça fait que, quand j’ai été un peu paumé dans ma vie d’ado et qu’il a fallu choisir pour ce que j’allais faire après la Bac, je me suis tourné vers des études d’Histoire. Eh bien j’ai adoré. Avec le recul, j’aurai bien suivi tout le cursus, mais j’ai rencontré un réalisateur qui m’a fait entrer dans l’audiovisuel. Vu que ma passion première restait le cinéma, j’ai arrêté l’Histoire.

Quand je perds mon boulot en 2014, je ne sais pas trop quoi faire. Je découvre YouTube, des émissions de vulgarisation dans d’autres domaines, et je m’aperçois qu’il n’y a pas de chaîne consacrée à l’Histoire — ou du moins, je n’en trouve pas… alors je me lance en me disant que ça va me permettre d’apprendre des trucs et de le restituer au public. Franchement, je ne pensais pas en vivre, mais ça a très rapidement explosé et c’est devenu mon métier. Maintenant, cela fait neuf ans que je me forme à l’histoire sur le tas. Ma vision de cette science a vraiment évolué depuis le début, notamment en discutant avec plein d’historiennes et d’historiens qui m’ont fait saisir tous les enjeux de la méthode scientifique.

As-tu une période préférée ? Un thème préféré ? Ou bien te considères-tu comme un touche-à-tout ?

Plutôt la seconde option. Je n’ai pas de période préférée, même si, de façon sans doute inconsciente, je pense que le Moyen Âge a été très présent sur la chaîne. Mais c’est peut-être parce que j’aime bien la fantasy et que j’ai beaucoup joué à des RPG [Role Playing Game, un type de jeu vidéo d’aventure ndlr]. Franchement, je me sens plus comme un touche-à-tout, parce que cela me permet de montrer la pluralité de l’histoire, autant dans les thèmes, que dans les périodes et les espaces géographiques. En fait, avec le temps je me rends compte que c’est en me penchant sur un sujet que je découvre sa richesse. Parfois, j’ai rencontré une ou deux personnes intéressantes et cela m’a emmené pendant un an sur une thématique. Dans mes recherches, l’humain joue un facteur central. Par exemple, je me rappelle d’une interview avec Christian Ingrao qui m’a tellement marqué que j’ai eu par la suite envie de m’intéresser à la Seconde Guerre mondiale.

Les commémorations occupent une place importante dans la société française contemporaine. Fais-tu aussi des vidéos dans le cadre de ce type d’événement ?

Ce n’est vraiment pas systématique. Parfois, il y a d’heureux hasards. Plusieurs fois, j’ai sorti une vidéo et des gens ont cru que je faisais ça pour commémorer tel ou tel anniversaire, alors qu’en fait, je n’y avais pas du tout pensé [rires !]. En fait, je m’émancipe le plus souvent de ces événements. Je n’aime pas les marronniers. Je trouve que c’est le meilleur moyen de faire comme les autres. On a l’impression que beaucoup de magazines historiques tournent un peu en rond parce que justement ils suivent beaucoup le calendrier des dates anniversaires. Pareillement, au moment du Covid, je n’ai pas eu envie de réaliser des épisodes sur la Peste, malgré les nombreuses demandes que j’ai reçues. J’ai préféré faire des émissions qui proposaient au public de s’évader un petit peu. Des collègues ont pris le parti inverse, ont parlé de l’histoire des épidémies, ce qui est très bien et a permis de prendre un peu de recul avec la crise sanitaire, mais franchement, ce n’était pas mon option. Je voulais m’évader.

Justement, l’histoire et sa vulgarisation servent à quoi selon toi ?

Chacun peut y trouver son intérêt et, lorsque je questionne les historiennes et les historiens là-dessus, beaucoup ont des avis très différents. J’en ai même eu un qui m’a dit que cela ne servait à rien [rires !]. Pour certaines personnes, ça représente en effet une sorte d’évasion, c’est presque comme un roman. D’autres y voient un moyen de connaître leurs origines, peut-être pour répondre à une forme d’angoisse existentielle. Après, et cette grille de lecture est sans doute propre à certaines catégories socio-professionnelles, l’histoire permet aussi à mon avis de mettre en lumière des phénomènes sociaux, économiques, politiques, ce qui nous donne après quelques cartes pour comprendre le monde dans lequel on évolue. Mais attention aux parallèles trompeurs qui inciteraient à comparer trop mécaniquement des périodes passées et notre époque.

Maintenant, pour parler de mon cas perso, j’explique toujours que Nota Bene a commencé comme une émission de divertissement historique qui est devenue une émission d’histoire divertissante. Au début, je voulais faire des vidéos un peu feel good où on allait se marrer avec des faits historiques (oui, parce que, finalement, par le passé, il y a eu souvent des événements insolites ou rigolos). Mais au fur et à mesure, ma vision de l’histoire a changé et l’émission a glissé vers quelque chose de différent, ce qui m’amène parfois à faire du debunkage, comme dans une vidéo récente autour des propos du rappeur Maître Gims sur le passé africain.

Les archives, c’est un peu le « pain des historiens ». Comment du intègre ça dans tes émissions ?

J’ai tendance à laisser ça aux historiens, même si j’ai fait des émissions avec l’École des Chartes ou avec RetroNews. Je me suis déjà confronté à des sources par curiosité. Par exemple, j’adore les facs-similés de manuscrits réalisées par les éditions des Saints Pères. Mais c’est plus un plaisir esthétique qu’intellectuel. Franchement, je ne sais pas si j’ai le recul et les capacités nécessaires à l’étude directe des sources. C’est pour ça que je travaille avec des historiens et que je m’intéresse à leurs productions. Je ne suis jamais dit que j’allais partir d’une source originale pour développe une émission parce que ç’aurait été le meilleur moyen de me tromper dans mes analyses.  

Même en ce qui concerne les sources iconographiques ?

L’iconographie, c’est un peu différent, parce que mes émissions s’appuient sur beaucoup d’images pour illustrer mon propos. Mais il s’agit bien d’illustrer. Les images que je mets sont d’abord là pour plonger le public dans une ambiance, pour évoquer une période. Pour le dire plus clairement, certains des reproches qu’on a faits à la série Apocalypse — qui pour certaines, à mon sens, sont sans doute justifiés — peuvent aussi être formulés à l’encontre de Nota Bene. Je suis conscient que c’est peut-être un des plus gros biais de mon travail, mais je trouve que c’est nécessaire dans le format et l’économie d’internet de mettre ça en place pour faire passer de l’information. Quand je parle de l’économie d’internet, j’évoque surtout le coût du droit aux images. C’est très cher, ce qui pose le problème de la politique de mise à disposition de ces sources en France, alors que j’ai l’impression qu’il est plus facile d’avoir accès à des archives sur ces périodes aux États-Unis ou en Allemagne. Mais passons… Pour revenir à l’usage de l’iconographie, je sais que la meilleure solution sur un plan scientifique consisterait à mettre par exemple des légendes en bas des images, mais cela alourdirait beaucoup trop le dispositif.

Tu m’as d’ailleurs fait la remarque pour certains des scripts que je t’ai écrits. J’ai tendance à mettre des grosses citations, et tu m’as demandé de les réduire.

Oui. Les citations, c’est super intéressant et ça apporte une vraie plus-value, mais en même temps ça aboutit à des vidéos trop denses. Toutefois, c’est important de montrer au public sur quoi s’appuient les analyses des historiens. C’est aussi ce rapport direct au texte que j’ai voulu mettre en avant dans les épisodes avec RetroNews, avec l’École des Chartes, ou dans la vidéo sur le hitobashira. Cette dernière émission constitue d’ailleurs un bon exemple. On s’était lancés sur le sujet des sacrifices humains dans le Japon ancien. Damien « Trentedeniers » de la chaîne Religare, avec qui j’écrivais l’émission, est allé chercher un copain japonais qui a traduit les textes d’origines, ce qui nous a permis de nous rendre compte que sur le YouTube francophone, beaucoup de gens racontaient n’importe quoi à ce propos. Alors j’en ai profité pour montrer, dans la vidéo, comment se fabriquait une émission de vulgarisation, comment on vérifiait l’information pour mieux expliciter les limites de la démarche des historiens. La vidéo se termine donc sur un point d’interrogation. J’explique ainsi en conclusion qu’on n’avait pas trouvé de réponse claire et définitive sur le sujet et je demande à des spectateurs qui en connaîtraient plus de nous contacter.

Sinon, j’ai aussi beaucoup travaillé sur les sources lorsque j’ai réalisé une série sur la France Libre et la Résistance. On a contacté l’ECPAD et j’ai pu aller directement au fort d’Ivry, à côté de Paris, pour sélections des extraits vidéos.

Là, on parle d’archives audiovisuelles. Est-ce qu’elles t’intéressent particulièrement ?

Oui. En fait, plus largement, la sauvegarde de la source est un sujet qui me passionne. Je me rappelle qu’en 2015-2016, je voulais réaliser sur YouTube un documentaire sur la numérisation du savoir. J’avais passé trois jours à l’INA pour aller filmer leurs serveurs et des gars qui restauraient des bobines. J’étais allé voir les entrepôts de stockage à Rambouillet avec toutes les pellicules qui pouvaient prendre feu. J’avais été interviewer quelqu’un qui faisait de la numérisation de sites archéologiques. Il envoyait des drones à Palmyre avant l’arrivée de Daech afin de sauvegarder le maximum d’informations.

Tu n’as jamais sorti cette vidéo ?

Non, parce que j’avais un matériel qui n’était pas à la hauteur et que je trouvais que les images finales n’étaient pas belles. J’ai hésité, encore et encore, et à force d’hésiter, le temps est devenu trop long. Aujourd’hui, ces interviews réalisées il y a huit années de cela ne sont plus valables, ne serait-ce que parce que les techniques ont évolué.

Je veux finir cet entretien en évoquant encore des sources et en te demandant de commenter quelques une de presse que l’on peut voir sur RetroNews. Commençons par cette Une du Petit Journal supplément du dimanche de 1911 :

Incroyable cette illustration. On est vraiment dans tous les clichés colonialistes. Cela m’évoque une série de vidéo que j’ai faite pour l’INA en collaboration avec Usul sur le thème de la propagande par les images. On a fait un épisode traitant notamment des actualités durant la guerre d’Algérie. Je me rappelle par exemple d’un présentateur qui affirmait à l’époque que la perte de l’Algérie amènerait à ce que les Français aient moins de vacances. En regardant cette une du Petit Journal, je me dis qu’on pourrait faire des vidéos courtes là-dessus, en haute résolution, pour analyser tous les détails et tout ce qu’ils révèlent de la France de l’époque. Par exemple, la légende en dessous de l’image : « La France va pouvoir porter librement au Maroc la civilisation, la richesse et la paix » m’évoque vraiment la Destinée manifeste américaine.

Et une dernière sur la Libération de Paris, vu que tu en as parlé : 

Oui, ça me replonge dans toutes les archives que j’évoquais tout à l’heure et aux problématiques que ça soulève. Déjà, je ne sais pas, de prime abord, si c’est une photo prise sur le vif ou une forme de reconstitution des événements de 1944, vu que je lis que le journal date de 1946. [Benjamin fait une pause] Bon, en la prenant le temps de bien la regarder je me rends compte que c’est bien un cliché photographié au moment de la Libération. Bref, cela repose les questions que j’avais soulevé tout à l’heure sur l’usage des images comme simple support d’ambiance. Cette Une pourrait par exemple illustrer beaucoup de propos très différents, voir être détournée de son sens premier.

Nota Bene est YouTubeur. Vous pouvez retrouver ses émissions sur sa chaîne YouTube principale, des interviews d’historiennes et d’historiens sur sa chaîne secondaire et des versions audio de ses émissions sur les différentes plateformes de podcast.