Chronique

Les Unes iconiques de l’hebdomadaire « Marianne »

le 03/07/2023 par Anne Mathieu
le 01/07/2023 par Anne Mathieu - modifié le 03/07/2023

Titre culturel pacifiste lancé par Gallimard au début des années Trente, Marianne fut un havre pour nombre de grands intellectuels de son temps. De même, ses premières pages accueillaient l’élite de la photographie, du montage et de l’illustration.

Dès ses premiers numéros, le « Grand hebdomadaire littéraire illustré » Marianne, créé par Gallimard en 1932 pour concurrencer le Candide de Fayard, se distingue par ses Unes. Celles-ci sont en effet ornées d’un photomontage qui ne peut que retenir l’œil. Il offre un commentaire original de l’actualité, accompagné parfois de variations humoristiques permises par les manipulations des photographies.

Le 7 août 1935, alors que l’Éthiopie est de plus en plus menacée par l’Italie mussolinienne, notamment du fait de l’inaction de la Société des Nations et de la politique de Pierre Laval, ce dernier est un personnage de la scène qui se joue :

Ces photomontages laissent la place de temps à autres à des photographies, dont la légende est parfois presque plus importante que l’image elle-même…

Le 8 mars 1933, la photo créditée « Weltrundschau » est en effet parfaitement servie par son commentaire incisif : « En toute liberté… les Allemands ont voté le 5 mars » :

Dirigé par le journaliste-écrivain Emmanuel Berl de 1932 à 1936, l’hebdomadaire Marianne, s’il est de tendance « radicale » (centre-gauche), est également très imprégné par les opinions pacifistes de son directeur. Des opinions qui orientent considérablement sa position pendant la Guerre d’Espagne, où Berl défend la non-intervention. Cela ne l’empêche toutefois pas de condamner les massacres des franquistes et de leurs alliés mussoliniens et hitlériens.

Le 26 août 1936, une photographie insoutenable de cadavres est destinée à choquer le lecteur ; sa légende sarcastique prend à parti sans le nommer le général Queipo de Llano, maître de Séville depuis le 18 juillet 1936 et qui vocifère contre « les rouges » sur Radio-Séville :

On remarquera que cette photo n’est pas créditée, comme c’est le cas à d’autres périodes de luttes et d’effervescence militante, notamment au moment du Front populaire où les photos d’amateurs fleurissent et où celles des professionnels sont reprises à foison :

Toutefois, les photos accueillies en Une de Marianne sont la plupart du temps créditées de noms d’agences (Associated Press, Keystone, France-Presse, New York Times, etc.), ds agences dont les clichés servent d’ailleurs à de nombreux photomontages.

Mais, les photos peuvent aussi parfois être accompagnées de noms de photographes célèbres. Ainsi relève-t-on ceux de Hugh Block, du photojournaliste russe Aleksandr Brodzsky (1903-1984), du photographe hongrois exilé à Paris André Kertesz (1894-1985). L’agence autrichienne Schostal, très présente par ailleurs dans les périodiques culturels des années 1930, embellit une édition de 1933 sur la rentrée des classes, grâce à son art du portrait et à sa maîtrise recherchée des effets de lumière :

Photomontages et photos sont parfois remplacés par des illustrations. C’est l’année 1936 où elles prennent le dessus, et si on l’y rencontre René Dubosc (1897-1964), c’est la signature quasi-inamovible de Jean Effel (1908-1982) qui y officie, célèbre dessinateur de Paris-Soir et collaborateur à plusieurs titres de la presse de gauche notamment à partir de 1936.

Le changement de direction en 1937 conduit plusieurs mois après à un changement de ligne éditoriale, orientant Marianne à droite. Mais la veine pacifiste de l’hebdomadaire ne cesse de s’y exprimer, adjointe à un positionnement très antihitlérien. Ajoutons qu’au fil des mois, la mise en page est modifiée, et plusieurs dessins sont désormais accueillis en Une.

Elkins y signe par exemple des dessins à la tonalité antinazie :

L’illustrateur et également affichiste Paul Ordner (1901-1969) y est récurrent à partir de l’année 1938, et s’inscrit dans cette même tonalité :

Les vignettes accueillent des dessinateurs célèbres, tels Claude Garnier, connu pour ses caricatures, et Jacques Pruvost (1901-1984), lesquels par exemple voisinent en ce numéro de décembre 1938 :

Evolutions politiques et changements de ligne éditoriale conjoints ne modifieront pas en tout cas, jusqu’à sa disparition à l’été 1940, l’inscription de cet hebdomadaire culturel dans son temps. Celui des années Trente, où photographes et dessinateurs côtoyaient journalistes de plume et intellectuels, offrant à moult périodiques une richesse culturelle remarquable, creuset inventif des décennies d’après la Seconde Guerre mondiale.