Écho de presse

31 juillet 1914 : Jaurès assassiné

le 02/09/2022 par Julie Duruflé
le 30/07/2020 par Julie Duruflé - modifié le 02/09/2022
« Jaurès est mort ; il a été tué sous nos yeux par deux balles assassines. » Le 1er août 1914, la Une de L'Humanité porte une bordure noire pour annoncer l'assassinat de son fondateur.
Dans la soirée du 31 juillet 1914, Jean Jaurès est assassiné par le nationaliste Raoul Villain. Le matin, il s'exprimait encore dans les colonnes de L'Humanité, le journal qu'il avait fondé en 1904 : « Sang-froid nécessaire », le dernier éditorial du tribun socialiste est empreint de pacifisme, et souligne « l'inquiétude qui se propage » à la veille de la Première Guerre mondiale, tandis qu'il faut tant bien que mal « écarter de la race humaine l'horreur de la guerre ».

« Il est mort quasi foudroyé », selon la rédaction de L'Humanité. Il est mort « entouré de ses collaborateurs » qui ont tenu à faire paraître le numéro du lendemain matin « à l'heure, comme s'il était encore là ». Au milieu des hommages rendus à leur directeur, les journalistes, conscients de la portée historique du drame qui s'est déroulé quelques heures plus tôt, choisissent de témoigner des derniers instants de Jaurès : 

« Comment l'horrible chose s'est-elle passée ? Il faut le dire. Il faut fixer ici pour l'histoire la scène épouvantable. Jaurès était venu au journal un peu avant huit heures. Il venait du ministère des affaires étrangères où, délégué par le groupe socialiste, il avait vu M. René Viviani. Renaudel et Longuet l'accompagnaient. [...]
Il n'avait pas dîné, et il avait beaucoup à travailler.
– Allons d'abord dîner, dit l'un de nous.
– Allons dîner... »

Descendus au restaurant du Croissant, proche du journal, les trois collaborateurs sont entourés de proches et passent leur soirée sans se préoccuper des allées et venues dans le restaurant :

« Le Croissant est un établissement fréquenté. On entrait, on sortait, nous ne prêtions d'attention à personne. La citoyenne Poisson fit toutefois cette remarque que Jaurès était comme toujours un sujet de curiosité. »

Quand la fin du repas approche, il est « dix heures moins vingt », et tandis que Jaurès se penche sur la photographie que lui montre l'un de ses compagnons de table, la soirée bascule :

« Tout à coup – souvenir atroce ! – deux coups de feu retentissent, un éclair luit, un cri de femme, épouvantable : Jaurès est tué ! Jaurès est tué !
Jaurès, comme une masse, venait de s'effondrer sur le côté gauche, et tout le monde était debout, criant, gesticulant, se précipitant. Ce fut une minute de confusion et de stupeur. [...]
On étendit l'assassiné sur la banquette. Il respirait à peine et il avait les yeux fermés. A-t-il eu conscience du crime ? Nous ne le saurons jamais... Il ne mourut pas tout de suite. »

 

Dans l'attente d'un médecin, c'est un client du restaurant, « pharmacien de son état », qui réalise un bref – et défaitiste – examen sur le corps de Jean Jaurès, désormais allongé sur une table de marbre. Renaudel éponge avec des serviettes « le sang qui sortait de la blessure, un tout petit trou rouge à l'arrière du crâne, avec, autour, un peu de matière blanchâtre » :

« Les coups avaient été tirés de la rue, à bout portant.
Il faut savoir que la table où Jaurès avait pris place est parallèle à la rue. La banquette où notre pauvre ami était assis est adossée à la muraille percée de trois grandes fenêtres. Jaurès avait derrière lui la fenêtre centrale qui, justement, – il faisait chaud – était ouverte.
L'assassin n'a eu qu'à tendre le bras pour toucher du canon de son arme le crâne de la victime. »

Les différents médecins alertés par les témoins se succèdent, mais ne peuvent que constater le décès : « je n'ai plus qu'à saluer ! », lâche l'un d'entre eux, alors qu'un second « ne peut à son tour qu'annoncer l'irréparable ».

L'affliction est générale, « et l'effroyable douleur des plus intimes, des plus amis, ne peut se distinguer de l'infinie tristesse des autres ». La dépouille de Jaurès est emportée dans une ambulance jusqu'à son domicile.

Le moment du crime est aussi celui de l'arrestation du coupable : 

« Quelques-uns de nos amis, ceux qui étaient le plus près de la porte, se précipitèrent pour saisir l'assassin, un grand maigre, qui, pour se frayer la route, tira sans atteindre personne, un troisième coup de révolver. 
Il fut immédiatement empoigné par Daniel Renoult, par Dunois, Par André Renoult, par le citoyen Tissier [...]. Il reçut quelques horions. Un agent, survenant, se saisit de l'individu et l'entraîna rapidement au poste. »

L'assassin, que les journalistes de L'Humanité qualifient de « fanatique de basse espèce », n'est pas encore nommé, mais décrit :

« Grand, élégant [...] et porte la moustache coupée ; il est chaussé de bottines à tige en drap, coiffé d'un chapeau de paille, il est vêtu d'un complet veston, pantalon rayé, avec une chemise à plis. Il porte faux-col et manchettes.
Mais il a pris soin à l'avance de démarquer son linge. »

Sans opposer de résistance, assurant même sa coopération, Raoul Villain explique son geste ; le journal rapporte ses propos : « si j'ai agi ainsi, c'est que j'estime que Jaurès a trahi son pays en combattant la loi de trois ans et qu'il faut punir les traîtres ». Jaurès s'était effectivement dressé contre cette « loi des trois ans » qui visait à augmenter d'un an le service militaire pour préparer une éventuelle guerre avec l'Allemagne.

L'hommage de L'Humanité à son directeur se teinte d'une résignation qui tranche avec le numéro de la veille, qui affirmait « la paix reste possible » :

« L'hécatombe exécrable que préparent à cette heure, dans leurs ténèbres, les partis militaires et les nationalismes de tous les pays aura eu pour prélude un monstrueux assassinat.
Il est [...] mort de la plus sublime et de la plus sainte des morts, celle du militant, du héros, du martyr, et cette mort tragique en pleine fièvre de combat, couronnera sa grande vie du nimbe glorieux du sacrifice. »

L'Allemagne déclare la guerre à la France deux jours plus tard, le 3 août 1914 ; « la dernière démarche de Jaurès était pour la paix », note Marcel Cachin - qui deviendra lui-même directeur du journal 4 ans plus tard : « le plus odieux des attentats l'en a empêché, pour le malheur de la France, du socialisme international et de la paix du monde. »

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« L'hécatombe exécrable que préparent à cette heure, dans leurs ténèbres, les partis militaires et les nationalismes de tous les pays aura eu pour prélude un monstrueux assassinat.
Il est [...] mort de la plus sublime et de la plus sainte des morts, celle du militant, du héros, du martyr, et cette mort tragique en pleine fièvre de combat, couronnera sa grande vie du nimbe glorieux du sacrifice. »

L'Allemagne déclare la guerre à la France deux jours plus tard, le 3 août 1914 ; « la dernière démarche de Jaurès était pour la paix », note Marcel Cachin - qui deviendra lui-même directeur du journal 4 ans plus tard : « le plus odieux des attentats l'en a empêché, pour le malheur de la France, du socialisme international et de la paix du monde. »