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1857 : première apparition du personnage de Rocambole

Affiche promotionnelle pour « Les exploits de Rocambole » de Ponson du Terrail, A. Belloguet, 1859 - source : Gallica-BnF

Populaire jusqu’à avoir donné naissance à un adjectif évoquant d’extraordinaires péripéties, le personnage de Rocambole créé par l’auteur à succès – et quelque peu oublié aujourd’hui – Ponson du Terrail est devenu une icône de l’âge d’or des romans-feuilletons au XIXe siècle.

La publication de romans dans la rubrique feuilletons des journaux débute en France à la fin de la décennie 1830 sous l’impulsion de deux titres de presse alors très innovants, La Presse et Le Siècle. Avec l’immense succès des Mystères de Paris d’Eugène Sue, publiés dans Le Journal des débats en 1842-1843, le genre du roman-feuilleton prend une ampleur sans précédent.

Le Second Empire est un contexte favorable à l’essor du genre. Dans la lignée des premiers feuilletonistes à succès que sont Honoré de Balzac, Eugène Sue, Alexandre Dumas ou encore les oubliés Paul Féval et Frédéric Soulié, une nouvelle génération d’auteurs émerge. Parmi eux, le vicomte Ponson du Terrail, aussi populaire que prolifique, écrit de nombreux romans publiés dans divers journaux ; mais ce sont surtout les aventures de son personnage de Rocambole qui lui apportent la consécration. Ce dernier apparaît pour la première fois en tant que personnage secondaire dans L’Héritage mystérieux, premier épisode des Drames de Paris – exemple parmi d’autres de la très grande influence des Mystères de Paris d’Eugène Sue – publié dans La Patrie du 13 septembre 1857.

Les années suivantes, au vu du succès, Ponson du Terrail s’attelle à écrire les propres aventures de ce personnage secondaire : Les Exploits de Rocambole. Toujours plus extraordinaires, ses péripéties prennent place à Londres, en Europe et jusqu’en Inde. Potentiellement sans fin, elles s’arrêtent avec la mort prématurée de l’auteur en 1871, mais cet anti-héros résolument moderne connaîtra un succès non démenti jusqu’à la Belle Époque.

FEUILLETON DE LA PATRIE.

13 SEPTEMBRE.

 

LES DRAMES DE PARIS.

 

PREMIER ÉPISODE.

L’HÉRITAGE MYSTÉRIEUX.

 

XLI.

Rocambole.

Léon Rolland suivait donc Colar sans défiance et tout entier à ses pensées.

Il allait donc peut-être revoir Cerise.

Mais où et dans quelles terribles circonstances ?

Les poings de l’ouvrier se fermaient avec colère, et il éprouvait comme une sorte de folie furieuse en songeant que peut-être Cerise n’était plus digne de son amour.

Colar le fit monter dans un fiacre qui stationnait sur le boulevard, à la hauteur de la rue Mazagran, fiacre attelé de deux chevaux plus vigoureux que ne sont d’ordinaire ceux des voitures de place, et que Cerise aurait reconnu sans doute pour ce grand fiacre jaune qui l’avait enlevée de la rue Serpente et transportée à Bougival.

— Cocher, dit Colar, tu vas nous conduire à Bougival en une heure et demie. On paiera bien.

Et Léon étant monté avec lui, Colar referma la portière, et le fiacre jaune partit au grand trot, tout le long du boulevard, puis il monta l’avenue des Champs-Élysées ; le rond-point de la barrière de l’Étoile une fois atteint, il fila comme une flèche entre Neuilly et le bois, alla un train de prince en montant la côte de Courbevoie, et traversa Nanterre sans s’arrêter.

Certes, Léon Rolland aurait dû s’apercevoir de cette célérité inusitée et remarquer que Colar était devenu bien silencieux, mais il était tout entier à ses préoccupations et il se croyait déjà face à face avec cet homme inconnu et abhorré à la fois qui lui avait ravi Cerise.

Cependant, un esprit moins crédule et plus perspicace aurait rapproché plusieurs circonstances les unes des autres et il se serait, par conséquent, tenu sur ses gardes au lieu de s’abandonner aveuglément à Colar.

Ainsi tout autre que Léon se fût souvenu du récit de Baccarat, récit d’après lequel, si Cerise avait réellement été enlevée, elle aurait dû l’être par M. de Beaupréau, par conséquent par un vieillard, et non un jeune homme, ainsi que l’avait dit Bastien.

En second lieu, comment admettre que Cerise tombée dans un piège, Cerise qui la veille aimait son fiancé, avait si philosophiquement pris son parti et s’était consolée à ce point de sourire aux paroles de son ravisseur, en tête à tête avec lui, dans une voiture fermée.

Mais l’honnête ouvrier ne fit aucune de ces réflexions ; il ne songea qu’à une chose : arriver, trouver Cerise, l’arracher aux mains de qui elle était tombée.

Cependant il fit cette observation :

— Voici qu’il est nuit... Comment ferons-nous ?

— La nuit, répondit Colar, on y voit moins que le jour, c’est vrai ; mais on a l’esprit plus ouvert, on devine… D’ailleurs, en y allant le soir, j’ai mon idée.

— Ah ! fit Léon, quelle est-elle ?

— Il y a un cabaret à Bougival, sur la chaussée, de l’autre côté de la machine, en allant à Port-Marly : il y a un cabaret, dis-je, où vont les domestiques des châteaux voisins, avec quelques paysans des environs. Nous entendrons peut-être jaser, nous saurons bien des choses, même sans avoir fait une question.

— Bien, très bien, murmura Léon ; est-ce loin encore ?

— Non, nous voici hors de Rueil ; il nous faut dix ou quinze minutes encore.

Le fiacre jaune continua de rouler, et Colar retomba ...

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