Interview

« Lèse-majesté » : une petite histoire de la caricature présidentielle

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« L’élu du Congrès », où l’on voit Paul Doumer (à gauche) battu pour la présidence par Armand Fallières (à droite), dessin de Moloch, Le Radical, 1906 – source : RetroNews-BnF

De Louis-Napoléon Bonaparte à Emmanuel Macron, l'historien Guillaume Doizy décrypte comment les caricaturistes se sont attelés à la difficile tâche de croquer nos vingt-cinq présidents de la République.

De 1848 à nos jours, la France a connu quatre républiques et vingt-cinq présidents différents, certains réduits à inaugurer les chrysanthèmes, d'autres accaparant un maximum de pouvoirs. Une succession tumultueuse que les caricaturistes n'ont pas manqué de restituer. 

De la petite taille de Thiers au gigantisme de De Gaulle, de la retenue face aux tragédies de certains présidents à la résurgence d'une satire violente, l'historien Guillaume Doizy analyse les logiques et les défis de la caricature présidentielle.

Propos recueillis par Jean-Marie Pottier

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RetroNews : Pour étudier la façon dont une personnalité, un président par exemple, est caricaturée, vous employez deux concepts : la carrière caricaturale et l'identité caricaturale. Que signifient-ils ?

Guillaume Doizy : Quand on s'intéresse à une personnalité politique, il y a un moment où on la voit apparaître dans la caricature : c'est le début de sa carrière caricaturale. Cela nécessite de s'intéresser à la presse nationale mais aussi à la presse satirique de province, très dynamique depuis le milieu du XIXe siècle – un Jaurès, par exemple, est très tôt caricaturé dans la presse de la région de Castres alors qu'il faut attendre une bonne quinzaine d'années pour trouver l'équivalent dans la presse nationale.

Après se pose la question de la cible : c'est l'identité caricaturale, c’est-à-dire comment le double caricaturé d'un personnage politique se fixe chez les dessinateurs. Elle est déterminée par les crises que rencontre cette personnalité politique mais aussi par le fait que les dessinateurs qui s'en emparent voient leur invention suffisamment diffusée pour que s'opère une cristallisation : des caractéristiques physiques ou morales, un objet ou un symbole, peuvent alors se fixer, mais aussi évoluer au fil des décennies.

De Gaulle, par exemple, a commencé sa carrière caricaturale dans une période très particulière, la Seconde Guerre mondiale. Il est totalement inconnu médiatiquement quand il devient sous-secrétaire d'Etat en juin 1940 et part en exil à Londres quelques semaines après. Là, il y a un black-out sur son image jusqu'à la Libération : dans les rares caricatures qui circulent, il est souvent identifié par son nom ou par la croix de Lorraine, car sinon on ne le reconnaîtrait pas. La Libération marque un changement de paradigme médiatique : son image est massivement diffusée sous forme de photos ou dans les actualités cinématographiques et les dessinateurs – et le public – découvrent enfin son visage. Il inonde alors la caricature, d'autant que les dessinateurs de la Libération sont tous gaullistes et participent de son récit héroïque. Ils le représentent en géant : soudain, sa taille devient une métaphore de sa grandeur politique.

Le retour de De Gaulle en France, France-Soir, 1944

Par sa jeunesse, son origine familiale et la conclusion de son mandat qui débouche sur l'établissement du Second Empire, le premier président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte (1848-1851), est une exception à bien des égards. Comment a-t-il commencé sa carrière caricaturale ?

Louis-Napoléon Bonaparte est très nouveau en 1848 d'un point de vue médiatique puisqu'il a été emprisonné, a vécu en exil et ne revient en France que quelques semaines avant l'élection présidentielle : son irruption dans la caricature est donc extrêmement soudaine. On a d'ailleurs du mal ...

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