Extrait du journal

N ne peut guère douter, me semble-t-il, que nos lettres ne soient aujourd'hui presque aussi actives, aussi bruyantes et fiévreuses qu’elles furent jamais. La crise du papier se fait sentir sur le tirage des livres, mais non point sur le nombre des auteurs imprimés. Combien d'écrivains nouveaux se sont-ils révélés l’an dernier ? Une cinquantaine, peut-être davantage. Révélés, c’est beaucoup dire ; mais on en citerait aisément dix ou quinze qui méritent au moins l’intérêt. S’il est un trait que l'on se plaise à reconnaître à la plupart d’entre eux, c’est de manifester un esprit déjà fort averti, d’être au courant, d’être soucieux de nouveauté. Us ont lu les romans américains ; ils ont lu Kafka, Kierkegaard, parfois Hei'venger ; ils connaissent la philosophie existentielle, sans mépriser le surréalisme ; ils savent que le monde est absurde, que l’homme est un triste animal et que Dieu est mort depuis quelques siècles. Ils ont de l'esprit, de la violence, de la cruauté. Us se refusent à toute naïveté : c’est la seule qu’ils conservent encore. Nous avons ainsi une jeune littérature très intellectuelle, intelligente aussi et qui, même à travers les influences qu’elle peut subir, ne manque nullament d’originalité. Avec une personnalité plus forte, un talent mûri, un aplomb plus ferme, tels sont aussi bien les traits que nous offrent beaucoup de maîtres de cette Jeune littérature....