Extrait du journal

Le roman d'Emile Zola, l'Argent, que va publier le Gil Blas, arrive au moment psychologique, car on n'entend parler que d'argent qui manque et d'argenterie qu'on vole. Le krach de Londres et les châteaux de France dévalisés au nez et à la barbe de leurs propriétaires; voilà le fond de toutes les conversations, avec quelques variations sur la Marseillaise des Pères Blancs du cardinal Lavigerie. Tout Anglais est né spéculateur. Dans les sports qu'il pratique même il voit un sujet à spéculation, intérêts dans une écurie, paris à tout propos sur terre et sur eau. La Bourse et son jeu, le marché et sa cote l'attirent donc d'instinct, de même, d'ailleurs, que le hasard des exploitations au loin. Les plus grando seigneurs, les plus grandes dames participent à cette passion du jeu, et de là l'accueil surprenant que vous leur voyez faire à ceux qui peuvent amener les faveurs de la fortune soit sur le turf, soit à la Bourse, jockeys ou banquiers. Dans ces conditions, rien d'étonnant à l'emballement qui a saisi les plus fortes têtes de la finance, les Baring par exemple : il y a des contagions irrésistibles et c'est si enivrant cette fièvre de l'or, c'est si délicieusement infernal, l'émotion du jeu ! Aussi en dépit des caisses vidées, des portefeuilles éventrés, des banques en désarroi et de la coulisse en déroute, malgré les jérémiades et les imprécations, les réquisitoires contre l'agiotage et les homélies en faveur des économies paisibles du vieux bas, soyez sûrs de revoir avant longtemps, sur telle ou telle place de l'Europe, la Bourse et le public à sa suite passer...