Extrait du journal

Vendredi dernier, le duc recevait de sa femme et de quelques intimes, à l'occasion du quarante-huitième anniversaire de sa naissance, une avalanche de fleurs, et trois jours après, en même temps que les bouquets se fanaient, il rendait tout à coup le dernier soupir, sans secousse, sans souffrance, n'ayant pas même eu à sentir l'approche du terrible passage. Il était homme pourtant à l'affronter en face, car, bien des fois, le souffle de la mort avait effleuré son visage ; mais, comme il le disait lui-même, il s'était fait une si douce habitude de la résurrection, qu'il ne pouvait croire que la. dernière heure pût jamais sonner pour de vrai. Si cette illusion consolante s'était emparée de son âme c'est bien à la sollicitude de sa femme qu'il le devait. C'est à son dévouement toujours en éveil, à ses soins aussi délicats qu'intelligents que le propriétaire de Frontin et de Little-Duck devait ces retours répétés à la santé qui le trompaient sur l'issue implacable du mal dont il était atteint et rassuraient ses amis chaque fois qu'une nouvelle alerte était signalée. La duchesse de Castries, privée des joies de la maternité, avait fait de son mari son « grand enfant » et il y avait dans la sollicitude attendrie et discrète dont elle l'entourait des attentions qui tenaient à la fois de la mère et de l'épouse....