Extrait du journal

On m'avait dit qu'il fallait voir, qu'il fallait entendre, qu'il fallait admirer M. Sanine. M. Sanine est le régisseur général et l'ordonnateur de cette tragédie, et c'est par lui, paraît-il, que la vie est insufflée à l'œuvre. Sanine avait réuni ses acteurs, premiers rôles et figurants, au milieu de la scène, les avait assis dans le décor champêtre, d'ailleurs fort beau, du quatrième acte, et lui-même, monté sur une chaise, les haranguait à perdre haleine. Il s'exprimait en une sorte de langage où les mots français dominaient peut-être mais que la prononciation slave rendait à peu près incompréhensible. C'était un petit homme court et gros, rond et joufflu, rasé et pétulant, dont les bras s'agitaient comme les ailes d'un moulin. Il parlait avec une telle abondance de mois et de gestes que le comprendre était fort malaisé. Mais ses auditeurs étaient manifestement gens de bonne volonté qui l'écoutaient avec complaisance : « Tout de même, disait une figurante résignée, puisqu'on est assis, c'est ressentiel ! »...