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Journal des débats politiques et littéraires, 14 juillet 1848

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Journal des débats politiques et littéraires
14 juillet 1848


Extrait du journal

La patrie s'échappait palpitante des embrassemens sanglans de la révolution ; elle cherchait son Dieu dans la poussière de ses temples et dans les débris de ses autels. La société matérielle commençait à se reconstruire ; mais le monde intérieur, le monde des âmes était encore plongé dans les ténèbres du doute et du désespoir. Oh ! quelle consolation ce dut être pour tous ces cœurs dévastés que cette lyre aérienne qui se mit tout à coup à chanter au milieu des ruines, en murmurant les chants mysté rieux de l'enfance! La Bible "raconte qu'après le déluge, le père des hommes laissa sortir de l'arche une colombe, qui revint vers le soir apportant dans son bec des feuilles d'olivier. C'était le signe que Dieu était apaisé, et que les eaux s'étaient retirées. Ainsi, après le déluge de la Révolution qui avait tout sub mergé, Atala, c'est la colombe sortie de l'arche pour voir si le monde est libre ; elle revient, et rap porte au peuple puni et repentant le signe de l'es pérance et de la foi, le ramèau d'olivier. Le monde tressaille ; les oiseaux' gazouillent et chantent dans tous les cœurs le lever de l'aurore; le soleil rend son sourire à la verdure et la rosée répand ses "perles sur les fleurs consolées. Devancé par cette messagère divine, le Génie du Christianisme sort des ruines ; il secoue sa chevelure, revêt sa robe mystique , et rentre dans le monde qui se jette à ses pieds et baise ses mains. Ce sera une élernetle gloire pour l'auteur de ce grand livre d'avoir le premier rendu à la société l'idéal qu'elle avait perdu, le senti ment religieux et spiritualiste qu'elle avait oublié. Ce moment est le plus éclatant, le plus véritablement immortel de la vie de M. de Chateaubriand , parce que ce fut le moment créateur ; c'était comme la découverte d'un nouveau monde. L'auteur du Gé nie du Christianisme ne doit point porter la peine de toutes les faiblesses écloses à l'abri de son nom ; il ne faut pas que nous le rendions coupable de celte religion romanesque que la débilite de notre âge a puisée sur sa bouche d'or. Son livre n'était pas un catéchisme ; ce n'était point la reli gion pratigue , la doctrine austère et laborieuse ; mais le poète parlait sa langue, il faisait la seule prédication possible de son temps; il prenait la nature humaine par son côté éternel et le plus sen sible , par le cœur, par l'imagination , par la pas sion. Il nous ramenait au christianisme par le spi ritualisme. L'éclat de son œuvre ne fut pas moins grand dans le monde purement littéraire. En ce temps-là un livre était un événement. Nous ne pouvons pas de nos jours nous figurer quelles passions se don naient alors carrière sur un mot. Les lettres, d'ail leurs, étaient le seul refuge de l'exercice de l'es prit, le seul asiie de la liberté. La poésie seule pou vait franchir le cercle tracé autour de la pensée, parce qu'elle avait des ailes. La discussion, ce pain quotidien de notre vie, n'existait pas ; c'était dans la littérature que se sauvait la liberté, comme au trefois dans les fables. Le Génie du Christianisme fut comme une invasion dans les anciennes formes; ce fut la naissance, l'explosion du romantisme. Dans la forme, dans le style, c'était un retour à la nature et à la liberté. C'étaient les rameaux libres sortant du cloître des avenues régulières et taillées ; c'étaient les ondes pures brisant le moule des bas sins de marbre pour répandre leur indépendance dans les prairies; enfin, dans l'idée et dans la forme, c'était la renaissance, la résurrection. Il y eut donc, dans l'effet incomparable que pro duisirent ces premières œuvres, il y eut deux cauleur beauté propre, et le moment de leur ap parition. Napoléon devina cette grande force qui venait de se révéler ; il envoya M. de Chateau briand à la légation de Rome, puis dans le Valais. Mais, le 21 mars 1804, le duc d'Enghien tomba fusillé dans les fossés deVincennes, et le même jour M. de Chateaubriand donna sa démission. Il rentra dans le grand chemin des voyages , il reprit sa course à travers le monde. Nous ne pouvons pas le suivre dans ce pieux et glorieux pèlerinage d'où il rapporta les Martyrs et l'ltinéraire, et au retour duquel il entra dans l'Académie. Par un paradoxe étrange, il y prenait la place d'un régicide. Il refusa de faire l'éloge de Marie-Joseph Chénier. Ce qu'il faut dire aussi, c'est que dans son discours de réception, qui fut interdit, il avait l'audace de parler de la paix, et ce n'était pas du goût du maître. M. de Chateau briand aimait trop la liberté pour bien vivre avec l'empereur; ces deux natures indomptables ne pou vaient pas se rencontrer sans se heurter et sans se briser. Retiré à la campagne, dans la vallée d'Aul nay, M. de Chateaubriand n'en sortit qu'au moment de la chute de Napoléon, et alors commença pour lui une nouvelle vie, celle qu'il appelait le troisième acte de son drame. Ce moment de sa carrière est présent à beau coup de mémoires. Ce n'est pas ici, ce n'est pas dans la maison où nous écrivons ces lignes que ce grand souvenir pourrait être perdu. M. de Chateau briand fut la gloire de notre journal ; son génie, sous une nouvelle fâce, y est écrit en caractères in délébiles ; la terrible verve et l'emportement superbe qu'il déploya dans la polémique serviront d'éternels modèles. Le temps et l'espace nous pressent ; d'au tres que nous, ceux qui ont mieux vu et mieux connu M. de Chateaubriand, pourraient mieux dire quelle splendeur il jeta dans le pamphlet et dans le journalisme. Il faut un nom comme le sien et une main comme la sienne pour prolonger le souvenir de cette œuvre de tdus les jours et de toutes les heu res. Le public qui absorbe chaque malin cet éphé mère et ingrat travail de nos veilles ne se de mande pas ce. qu'il s'y dépense de labeur, de cou rage, de persévérance et de cœur. La voix jette toutes ses notes dans l'air qui n'en renvoie pas même l'écho ; l'arbre livre une à une ses feuilles à tous les vents du ciel qui n'en laissent pas même la trace. A mesure que M. de Chateaubriand entre plus activement dans la vie politique, dans le monde des affaires, nous laissons parler l'histoire. Dans toutes ses vicissitudes, dans toutes ses grandeurs et dans toutes ses disgrâces, nous retrouvons toujours l'a mant fidèle de la liberté, le défenseur dévoué et cou rageux de celle qui, selon ses propres paroles, les vaut et les remplace toutes, la liberté de la presse. A travers les révolutions qui sont tombées au mi-...

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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