Extrait du journal

Un trait inattendu de la récente histoire de notre ville, c'est le nombre des lieux qu'y a consacrés la ferveur populaire. Paris, jadis tout vivant et voué aux vi vants, s'est couvert de lieux sacrés, de calvaires. De tels événements, de nature très pro fonde, se produisent avec lenteur. C'est tout à coup, après des années d'incuba tion, qu'ils se cristallisent et se montrent avec certiiude. Cette certitude nous est aujourd'hui donnée par l'observation de nos mœurs. Au 11 novembre dernier, quel a été le centre du Paris national? L'Arc de Triom phe. Mais l'Arc de Triomphe n'a été qu'un glorieux motif décoratif jusqu'au jour où y fut porté le corps du Soldat inconnu. Aurait-on pensé, si cette flamme n'y avait été allumée, à célébrer sous cette voûte la messe funèbre du roi de Serbie? Jamais. L'Arc de Triomphe est devenu, devient chaque jour plus fortement, depuis quinze ans,- un lieu sacré, un calvaire. . ' ; Il en est d'autres. Au 2 août dernier, où se sont portées les légions du Paris rouge, international? Au Panthéon, à cause de Jaurès. De 1885 à 1924, le Panthéon a été un lieu banal, désaffecté, rien plus. Victor Hugo était mort dans son lit, les foules attachent une haute signification aux signatures du sang. En 1924, les fou les révolutionnaires ont été autorisées à porter Jaurès au Panthéon : dès lors le monument'a commencé de prendre un ca ractère qu'il ne perdra plus. Entre ces deux monuments, symétrique ment dressés sur les hauts lieux parisiens, nos mœurs ont consacré un troisième cal vaire: la statue de Jeanne d'Arc. Elle ne recouvre aucune relique, mais l'ardeur du souvenir y supplée, et le cortège qui s'y développe à chaque retour de mai a con quis son droit par des luttes qui justifient son caractère. Un quatrième lieu sacré existe dans Paris, un Paris lointain auquel les Pari siens du centre pensent peu: c'est, tout au fond du Père-Lachaise, le Mur des Fédé rés. La consécration de ce mur," lentement advenue, est une manifestation de cette piété parisienne dont nous découvrons ici Contre ce mur tombèrent, en mai 1871, les derniers combattants de la Commune de Paris, et les révolutionnaires y montent chaque année. Or, l'événement d'hier, 6 février 1935, c'est la création à Paris d'un nouveau lieu sacré: cette margelle de la place de la Concorde contre laquelle tombèrent, le 6 février, les premières.victimes de la pro testation parisienne. La police l'encadrait, la défendait contre la foule. Les fleurs pourtant s'y sont amoncelées. Elles s'y amoncelleront longtemps. L DANIEL HALÉVY....