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L’Écho de Paris, 21 janvier 1896

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L’Écho de Paris
21 janvier 1896


Extrait du journal

sont tous deux rustiques : de là leur inti mité profonde. Depuis quand se connais sent-ils? Ils ne savent pas. Ils n'ont ni envie ni besoin de le savoir. Ils ont seule ment l'idée qu'ils- se connaissent depuis très longtemps, depuis le commencement des choses, car ils n'imaginent ni l'un ni l'autre que l'univers ait existé avant eux. La monde tel qu'il leur apparaît est jeune, simple et naïf comme eux. Jeanne y voit Bob et Bob y voit Jeanne tout au beau milieu. » Bob est beaucoup pli\s grand et plus ■fort que Jeanne. En posant ses pattes de devant-sur le3 épaules de l'enfant, il la domine de la tête. Il pourrait l'avaler en trois bouchées. Mais il sent qu'une âme subtile est en elle et que, pour frêle qu'elle est, elle est précieuse. Il l'aime et l'admire. Jeanne, de son côté, trouve Bob admirable. Elle connaît qu'il est fort; et, femme, elle admire la force.' Elle observe qu'il a pénétré, dans la na ture, beaucoup de secrets qu'elle ignore, et que l'ob3cur génie delà terre est en lui. Elle le voit énorme, grave et doux. Elle le vénère comme, dans les temps anciens, les hommes vénéraient des dieux agrestes et velus. • LE PEINTRE Victor, qui est le fils d'un grand por traitiste, a vu son père représenter sur la toile des femmes dont le regard et les lè vres semblaient de flamme et de rosée et qui souriaient toutes blanches,sûr le che valet. Et Victor a dit en lui-même : — Quand je serai grand, je serai pein tre. Mais je ne peindrai pas des femmes. Je peindrai des chevaux, parce que c'est plus beau. E.t déjà Victor s'exerce à- dessiner ses bêtes préférées. Il les réprésente de mé moire, jugeant que travailler d'après na ture, cela embrouille, voilà tout ! Mais les chevaux'qui naissent .sous "sa main ont! ceci de particulier, qu'ils ne ressemblent'1 pas à des chevaux. Ils ressemblent plutôt à des "autruches montées sur quatre pat- j tes. C'est très difficile, la peinture. Je crois5 pourtant que Victor sera^ comme son père, un bon peintre. Il a la patience et l'amour ce sont les deux moitiés du génie. LE JOUR D'YVONNE C'est jeudi. Il est cinq heures. Mademoi selle Yvonne reçoit ses poupées. C'est son jour. Le cercle est brillant, le cercle est animé. Les poupées, dites-vous, ne par lent pas. Le bon Génie qui leur donna le sourire leur refusa la parole. Il agit ainsi pour le bien du monde. Si les poupées parlaient, on n'entendrait qu'elles. Made moiselle Yvonne parle pour les visiteuses aussi bien que pour elle-même. Elle fait les demandes et les réponses: — Comment allez-vous, Madame? — Très bien, Madame. Je me suis cassé le bras hier matin en allant acheter des gâteaux, mais c'est guéri. — Ah ! tant mieux ! Vous prendrez bien une tasse de thé, avec de la crème. — Avec du lait, si cela ne vous fait rien. Parce que le lait, c'est naturel. Et la crème, les cuisinières la font dans un pe tit pot. Et elles y mettent des choses." — Et comment va votre petite ? — Elle a la coqueluche. — Ah ! quel malheur ! Elle tousse ? — Non, c'est une coqueluche qui ne tousse pas. — Vous savez/ma chère, j'ai encore eu deux enfants cette semaine. • — Vraiment ! cela fait quatre ! — Quatre oucinq,jene sais plus.Quand on en a tant, on s'embrouille I — Vous avez une bien jolie robe. — Oh ! ma chère, j'en ai de bien plus belles encore à la maison t — Allez-vous au théâtre ? — Tous les soirs. J'étais hier à l'Opéra, mais Polichinelle n'a pas joué, parce que le loup l'avait mangé. — Moi, Madame, je vais au bal tous les jours. — C'est bien amusant. — Oui, je mets une robe bleue et je danse avec des jeunes gens. Ils sont très polis, surtout.les colonels. — Vous êtes jolie comme un cœur au jourd'hui, ma mignonne. — C'est le printemps. — Oui, mais quel dommage qu'il neige!" — Moi, j'aime la neige parce qu'elle est blanche. — Il y a aussi de la neige noire. — Oui, mais c'est de la vilaine neige. — Vous savez que j'ai changé ma femme de chambre. C'est la deuxième de puis huit jours. On ne peut plus se faire servir ! Mlle Yvonne mène la conversation avec agilité. Mais elle cause trop longtemps tivec la même visiteuse qui est jolie et qui a une belle robe. Elle ne s'occupe pas des autres, parce qu'elles sont mal habillées. ANATOLE FRANCE....

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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