Extrait du journal

Il n'a pas seulement le goût du pouvoir, auquel le destinaient d'ailleurs ses qualités de méthode, de décision et de labeur. 11 en a la superstition. Il est conivaincu que le pouvoir est une force magique, et qu'il suffit de l'avoir en main pour plier à son dessein les circonstances et les hommes. Dès lors, qu'importe par quelles combinaisons on y parvient, par quelles intrigues ou coalitions on s'en empare ? L'essentiel est de le tenir et de se iustii'ier ensuite de l'avoir conquis par des moyens douteux en le faisant servir au progrès de ses idées et à l'application de son programme. Voila la pensée secrète dont procètient, depuis des mois, les actes de Millerand. Elle témoigne d'un grand mépris .des hommes et d'une grande erreur politique. Peut-être les conditions paradoxales dans lesquelles il est arrivé au pouyoir avec le ministère Waldeck-Rous;seau ont-elles contribué à affermir en -lui cette pensée il devenait brusquement, lui socialiste, le collègue du général de Galliffet et de l'homme qui, en créant le Grand Cercle, avait organisé la résistance patronale et conservatrice contre le prolétariat. Et pourtant, quand la démocratie et la classe ouvrière avaient vu à l'œuvre le gouvernement nouveau, elles n'avaient point boudé. Quand elles avaient vu le ministère disperser les bandes césariennes, traduire devant la Haute-Cour le double complot plébiscitaire et royaliste, inaugurer par la loi sur les associations la lutte contre les moines, et par la loi de dix heures faire un effort 'de réforme sociale, la démocratie et la classe ouvrière n'avaient pas demandé aux ministres « Quel est votre passé ? 7 Quelles sont vos origines ? Par quel paradoxe êtes-vous ainsi réunis ? » L'effort commun de défense républicaine avait rallié tous les esprits, et Millerand se dit sans doute tout bas aujourd'hui, que, s'il parvient à escalader le pouvoir, même par l'intrigue la plus suspecte, même avec les concours les plus compromettants et les complicités les plus redoutables, il se fera pardonner encore, à la condition d'agir, à la condition de réaliser....