Extrait du journal

Quand j’ai fini un livre... vérifié le dernier point de suspension, et signé le bon à tirer, je me dis régulièrement : « Mon petit, maintenant, tu vas te reposer ! » En revenant, je passe par les quais, j’achète des couleur^ et je complète ma boîte ; puis, chez moi, je gratte sur ma palette les paquets dessé ches de bleu de cobalt, de jaune indien et de cinabre vert, et enfin je tire sur la comète les plus jolis plans du monde '. toutes les semaines, je prendrai un jour et je me chercherai un trou bien isolé où il y aura des meules, des champs authentiques, de belles mottes luisantes, de braves bœufs, philosophes et rêvèurs, qui ont toujours l’air de me dire ; « Mais qu’as-tu donc à t’agiter ainsi..? Regarde comme nous ruminons tranquillement!.. » Et, assis sur un tronc d’arbre, ou enfoui dans les gerbes chaudes d'une huttelotte, je peindrai en pleine pâte la Grande Amie, tantôt toute triste et poudrée de givre sous le ciel froid, tantôt chaude, parfumée, murmurante, avec les grands coups de soleil de l’été... ——Q"*— Et ceci, c’est le rêve ! En réalité, à peine un livre est-il fini, à peine suis-je arrivé au bout du sillon, qu’une voix me crie ; « Lève-toi et marche!... » ... Le bœuf rumine tranquillement, parce qu’il est un bœuf! ... Le peintre fait de la peinture, parce qu’il est un peintre ! ..... Toi, tu es prêtre!.... je t’ai placé pour que tu marches..... ut eatis!..... pour que tu produises du fruit ut fructum afferatisl et de même que, sans perdre un instant, le champ, hier tout blond de moissons, doit s’entriouvrir pour de nouvelles semailles, de même toi, prêtre, laboureur de Dieu, tu dois retourner sans cesse la terre des intelligences, si tu ne veux pas que l’ivraie croisse là où le Christ attendait le bon grain i C’est pourquoi Le Soc paraît aujourd’hui... c’est pourquoi, avant même qu’il ne fût tiré, je travaillai déjà avec passion, aux rares heures laissées libres par le ministère, à une autre œuvre, Le Stigmate, qui ne verra le jour que dans deux ans, et sera le troisième acte d’une trilogie, dont Re\te^ che\ vous et La Grande Amie furent ies deux premiers. Et déjà Rousseau, médaillé du Salon, second premier Grand Prix de Rome, et illustrateur du Soc, revient du Nord, les albums bourrés de croquis : « Eh bien? me dit-il — Pas encore!.. — Attention l si l’on se repose, on est perdu I » —Q«— C’est d’ailleurs tout le symbole de sa couver ture du Soc : sur une côte, rude et caillouteuse, deux grands bœufs blancs tirent à plein joug la charrue, dont le soc éventre lentement la terre rouge; à l’arrière, et bras retroussés, un religieux conduit, les yeux levés vers une aurore, qu!...