Extrait du journal

Les directeurs de théâtre de New-York, dans l'excellente intention d’empêcher les spectateurs de s’affoler en cas d'incendie, ont pris quelques mesures simples et pratl ques sur lesquelles un de nos confrères ap pelle l'attention des managers parisiens. Et d'abord, quelques minutes avant la le ver du rideau on afficherait devant le trou du souffleur un avis ainsi conçu : IN CAS d’alarme NE nOUSCULEZ PAS VOS VOISINS CHOISISSEZ DÈS MAINTENANT LA PLUS PROCHE PORTE DS SORTIE La talle peut être évacuée x en trois minutes sans courir De plus, les portes de sortie de la salle se ront numérotées en très gros chiffres, et à côté du numéro de son fauteuil le spectateur lirait celui de le porte par laquelle 11 pourra gagner le plus vite l’extérieur du théâtre. Ayant toutes ces recommandations pré sentes à l’esprit, on espère que le public ne s’écraserait pas plus, en cas d’alarme, qu’il ne s’écrase, à la fin de la pièce, au vestiaire ; ce qui est déjà bien assez. Pour moi je n’oserais conseiller à nos di recteurs de théâtres parisitns de suivre l’exemple de leurs confrères d’Amérique. Je craindrais que tous ces sages avis aient un double inconvénient : celui d’être Inutiles le jour où le théâtre brûlera et où la plupart des spectateurs perdraient immédiatement la tête ; et celui d’être gênants les jours où le théâtre ne brûle pas, qui sont beaucoup plus nombreux, puisqu’on a calculé qu’un théâtre ne brûle en moyenne que tous les dix ans. Voyez-vous une petite Parisienne nerveuse subissant tous ces avertissements sinistres : l’affiche devant le trou du souffleur, le nu méro de la porte par où fuir marqué sur le coupon et répété par l’olflcieuse ouvreuse : — Monsieur n’oubliera pas mon petit pour boire... Monsieur et Madame n’oublieront pas qu’en cas d’incendie, c’est par la porte 6 qu’il leur faut passer... Monsieur et Madame n’auront pas besoin de se presser : si le feu prend sur la scène, il faut six minutes pour qu’il gagne l’orchestre. La Parisienne nerveuse n’entendra pas un mot de la pièce ; ce sera, d’ailleurs, la plu part du temps, tout bénéfice. Elle bousculera son mari pour avoir vivement ses fourrures et, arrivée sur le trottoir, s’écriera : — Dieu merci, nous voilà dehors!... Je ne vivais plus dans ce théâtre... Il me semblait sentir déjà une odeur de brûlé. GEORGE DE CÉLI....