Extrait du journal

Les lecteurs de la Petite Gironde con naissent, par un compte rendu qui leur a été télégraphié de Paris, la pièce que M. Gustave Gcffroy a tirée, pour l’Odéon, de son beau roman de Y Apprentie. Je parlerai donc surtout de la brillante assemblée «le vant qui cette pièce fut représentée pour la première fois. Cette première représenta tion ne fut point banale. Elle comptera dans les annales de l'Odéon. Les critiques de théâtre, qui ont presque tous la fâcheuse habitude d’écrire leurs chroniques d’après les répétitions générales, ont perdu, hier soir, une belle occasion d’exercer consciencieusement leur ministè re. Aux répétitions générales, la salle est remplie par des amis de l’auteur, par des comédiens, par des comédiennes, par toute une confrérie fort intelligente assurément et intéressante, mais habituée à ces sortes de solennités, un peu blasée, nullement dispo sée à « réagir » en présence d’un spectacle qui lui est gratuitement offert et qui, de cette façon, échappe naturellement à toute manifestation défavorable. Aux premières représentations, c’est différent. Bien que beaucoup de billets soient donnés à des amis, il reste cependant assez de places payantes pour que maint spectateur se juge autorisé à exprimer tout haut ses senti ments, quels qu’ils soient. C’est ce que j’ai pu voir, tout à l'heure, à l’Odéon, en assis tant à la première représentation de VAp prentie. Dès le début, ça sentait la poudre, d’au tant plus qu’on était transporté, par ce dra me, en pleine guerre de 1870, et que le canon tonnait sur Paris bombardé. Mais un magnifique souffle de patriotisme anime les nobles rôles que tiennent MM. Mosnicr, Vargas et Desfontaines. Ces deux braves ouvriers — le père, peintre en bâtiment, et les deux fils, mécaniciens — défendent, les armes à la main, notre capitale, assiégée. Us voudraient marcher contre les Prussiens, aux accents de cette entraînante Marseillai se qui mena, au rythme héroïque des gran des épopées, les armées de la Révolution. Marcher à l’ennemi, au devant du danger, à la conquête de la victoire et, s’il le faut, à la rencontre de la mort, c’était le rêve des Français de 1870, comme ce fut la gloire des Français de tous les temps. Rien n'est plus mauvais, pour notre nation, que le piétinement sur place. L’erreur des chefs qui nous ont commandés pendant l’Année terrible, c’est d’avoir voulu être des théori ciens de l’immobilité stratégique. Leur tac tique était de ne rien faire, et d’attendre... C’est ainsi que la garde nationale de Paris, composée de braves gens qui n’avaient pas froid aux yeux, ne demandait qu’à regar der les Prussiens face à face. On ami a mieux la laisser piétiner dans la boue, dans la neige, et en faire, selon l’énergique ex pression du général de Galliffet, une « ca valerie de forteresse ». C’était comme une fatalité. On s'enferma dans Metz ! On s'en ferma dans Sedan ! On s’enferma dans Pa ris !... Ces trois expériences n’auront pas été inutiles, si elles nous enseignent, pour les guerres futures, exactement ce qu’il ne faut pas faire. Il faut que les Français mar chent. L’inertie les accable. L’immobilité les désespère. L’attente trop prolongée les énerve, et finalement les paralyse. Donc, pendant le premier acte de Y Apprentie, l’unisson a été parfait entre l’auteur, les...