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La Petite Gironde, 5 décembre 1909

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La Petite Gironde
5 décembre 1909


Extrait du journal

Paris, 3 décembre. On ne saurait trop vivement louer le garde des sceaux de son projet tendant à l’abrogation de l’insuffisante loi Grammont et aggravant les dispositions pénales applicables aux misérables qui torturent les animaux domestiques. M. Louis Barthou gagne ainsi le cœur de tous les honnêtes gens. Il est peu probable que son initiative soulève la moindre critique. Qui oserait, dans l’une ou l’autre Chambre, élever la voix en faveur des brutes méchantes? On a défini l’homme : un animal raison nable; raisonnable, il ne l’est pas tou jours. Par où se décèle la raison, par exemple, chez ces cochers ou charretiers maltraitant sans pitié la pauvre bête qui les aide à gagner leur pain ? J’ai assisté, dans les rues de Paris, à des scènes atroces. J’ai vu des êtres mons trueux frapper à coups terribles dans les flancs, sur les naseaux ensanglantés, leur cheval à bout de forces. Ils vomissaient par surcroît des injures contre la pauvre bête, comme si elle devait comprendre ce qu’il y a d’humiliant pour un cheval à être trai té de vache ou de chameau. Nul doute que les mêmes sauvages traiteraient de cheval, en pareille conjoncture, le chameau ou la vache. J’ai entendu, la semaine dernière, un charretier manifestement imbibé de troissix, crier d’une voix rauque à son cheval, qu’il frappait à tour de bras : « Tu crève ras, s... ! ou tu diras pourquoi ! » Le cheval, attelé à un camion surchargé, haletait avec un souffle court. Ses muscles tendus se gonflaient en vain sous l’effort, et ses yeux rougis semblaient éperdûment demander grâce. Je reprochai à l’homme sa dureté, en l’engageant à prendre des rues détournée pour gagner plus aisément le sommet de la côte. Il feignit de ne pas entendre, redoubla de coups de fouet et de cris de haine. Que faire en pareil cas? Je ne pouvais me colleter avec lui ; aucun gar dien de la paix n'apparaissait à l’horizon. Je m’éloignai, plein de tristesse ; mais si la loi Barthou avait été promulguée, j’au rais tenu à honneur d’aller quérir en hâte un agent de la force publique et de mettre le cruel charretier sur la route de la prison. Il était temps, en vérité, que l’on s’oc cupât de protéger efficacement les animaux amis et serviteurs de l’homme. Le cheval, l’âne, le chien, le chat, pour ne désigner que ceux-là, n’ont pas seulement la faculté de comprendre et celle de souffrir; ils ont •aussi celle d’aimer qui les aime. Si je m’abandonnais au plaisir de parler de mes chiens, — de ceux que j’ai eus, car je n’en ai plus voulu avoir depuis la mort d’un doux et affectueux caniclie à jamais regretté, — je n’en finirais pas. I.es hommes qui aiment les bêtes en sont bien récompensés ; ils découvrent dans ces êtres tenus pour inférieurs des beautés mo rales insoupçonnées du vulgaire, et ils ne se contentent plus de les aimer : ils les estiment. Jean de La Fontaine, dont le cœur était sincère, a dit : L'avenir m’est chose Inconnue. Et je n'en parle qu'à tâtons. Il est sage et prudent de ne parler qu’à tâtons d’une chose essentiellement inexis tante ; ceci soit dit pour le commun des mortels. M“* de Thèbes, qui a reçu du ciel l’influence secrète, est dans les meilleurs termes avec l’avenir, qui n’a point de se crets pour elle. Un reporter vient d’aller la consulter sur ce que nous réserve l’an prochain. Il l’a trouvée pleinement renseignée, et jus que dans le détail. Ainsi, elle annonce qu’en 1910 les vendanges seront tardives, mais que le vin sera bon. Je suis heureux de pouvoir transmettre cette nouvelle aux viticulteurs du Sud-Ouest. La prophétesse nous promet des tempêtes (en quoi elle ne s’engage guère, car il y en a tous les ans), et elle s’attend au réveil des volcans d’Au vergne. Ainsi se trouvera réparé le tort des Auvergnats, qui ayant des volcans, les ont laissés s’éteindre. de Tiièbes certifie que les savants nous ménagent * d’affolantes » surprises. Avez-vous remarqué l’abus que l’on fait depuis quelques années du verbe affoler? « C’est affolant l — Si l’on persiste dans cette voie, l'opinion s’affolera ! » etc. Cet affolement mis à toutes sauces pourrait laisser croire que notre nation est entière ment détiaquée, ce qui serait contraire à la réalité des choses. En politique, M™* de Thèbes annonce pour la France la découverte d’une grande conspiration, dans laquelle « notre aristo cratie sera très compromise »....

À propos

Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.

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