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La République française, 12 mars 1895

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La République française
12 mars 1895


Extrait du journal

de terre cuites à l’eau qui alimentent les ta bles anglaises. Nous avons, me disait-il, cent douze maniè res d’accommoder les pommes de terre, toutes plus succulentes les unes que les autres et, par esprit d’imitation servile, nous les man geons simplement bouillies et nous acceptons une nourriture que nos aïeux distribuaient aux animaux domestiques !... Et ce jambon I d’York !... La chair n'en est pas mauvaise, je l’accorde ; mais qu’elle est vulgaire et fade lorsqu’on la compare à la chair de nos jambons de Bayonne cuits, selon les vieux procédés, aveé des herbes aromatiques, du serpolet, du fenouil, du foin fraîchement coupé !... On apprenait — et on dégustait — beau coup aux premières expositions culinaires. Elles obtinrent un gros succès. Le public y afflua. Elles se développèrent dans un sens qui ne fut pas très heureux. La Société d’ali mentation offrit sou concours aux cuisiniers qui ne crurent pas devoir s’en priver. Et ces expositions spéciales et professionnelles se changèrent en de vulgaires bazars... C’est ainsi qu’hier, au palais de l'Industrie, à côté des tables où figuraient des pâtisseries déli cates, des charcuteries monumentales, des entremets ingénieux et autres merveilles gastronomiques, j’ai aperçu des comptoirs où se débitaient des chiffres à marquer le linge et des boutons d » manchettes... Je sais bien qu'il est utile de marquer le linge de table, et qu’on ne peut dîner en ville sans manchet tes... Mais avouez que tout ceja n’a avec l’art de Vatel que de lointains et vagues rap ports. 11 n’y avait qu’un coin de l’exposition qui eût gardé sa physionomie, le coin occupé par M. Charles Driessens. Vous connaissez Char les Dricssens. Notre ami Henri Second s’est maintes fois occupé de lui et lui a rendu la justice qu’il mérite.. Charles Driessens est un apôtre... Ne vous récriez pas ! Le mot n’est pas trop fort. De puis dix ans. il lutte avec une énergie déses pérée pour faire entrer l’enseignement de la cuisine dans le programme de l’Etat et de la Ville. Cet enseignement y figure. En principe, les élèves des écoles secondaires et des lycées de jeunes filles doivent apprendre à cuisiner. En réalité, cette obligation reste lettre morte. Les directrices de ces établisse ments n’y tiennent nullement la main ; elles méprisent ce cours et le jugent déplaisant et de peu d’utilité. M. Driessens a entrepris de combattre ce mauvais vouloir. Il a ouvert, à ses frais, une classe de cuisine à Saint-Denis, une autre classe à Paris ; il s’y est dévoué corps et âme, et il a obtenu des résultats excellents. Les professeurs formés par ses soins pour ront aller répandre en tous lieux la bonne doctrine, je veux dire les traditions d'une cuisine économique, saine et savoureuse, celle que doivent pratiquer les prudentes ménagères qui sauvegardent à la fois la santé et le porte-monnaie de leurs époux. M. Driessens a consacré à cette tâche une partie de sa fortune laborieusement acquise (car ce conférencier à la parole fleurie est un enfant de la balle et commença par être simple marmiton). Il en est récompensé par la reconnaissance et l’affection de ses élèves. II les avait fait venir hier de Saint-Denis. A trois heures précises, cinquante fillettes, âgées de dix à quinze ans, coquettement attifées, un bouquet de violettes au corsage, se sont assises devant six longues tables où leurs instruments de travail étaient rangés. Il s’agissait de confectionner des choux braisés, des côtelettes de porc sauce Robert, une crème à la vanille. En moins d’une heure, le déjeuner fut confectionné, servi... et mangé, sous l’œil attentif du professeur qui se pro menait, comme un berger vigilant parmi ses ouailles. Mme Félix Faure, qui honorait de sa pré sence la cérémonie, s’est montrée très satis faite ; elle a chaudement félicité M. Driessens et lui a fait remettre un prix de la part du président de la République. A la bonne heure ! je vis de bonne soupe et non de beau langage, s’écriait le bonhomme Chrysale. Sans aller jusque-là, sans rabaisser les mères de famille aux besognes inférieures, il est bon de leur enseigner le chemin de la cuisine... Les hom mes se laissent prendre aux charmes d’un rôti cuit à point et d’un coulis onctueux... Et je sais des ménages qui sont devenus de mauvais ménages par suite de négligences réitérées dans la confection du pot-au-feu. Adolphe Brisson....

À propos

Face à une gauche qui ne parvient pas à contenir ses partisans, Léon Gambetta entend rassembler une majorité de républicains autour d’un nouveau quotidien, organe de l’Union Républicaine : La République française. Grand journal à 15 centimes, il consacre une part importante de son contenu aux nouvelles de province et joue un rôle considérable dans la victoire des républicains contre les conservateurs. La mort de Gambetta provoque de facto un infléchissement de la publication qui s’éteint lentement jusqu’en 1931.

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