Extrait du journal

< La parole, disait Talleyrand, en manière de boutade, a été donnée à l’homme pour dé guiser sa pensée. » 11 est positif que l’horreur du mensonge est un fruit de la civilisation, une conquête lente de la morale à travers les siècles. Mais prenez le sauvage — et prenez 'enfant qui est souvent un petit sauvage non encore dégrossi par l’éducation, — tous deux mentiront avec sérénité chaque fois que leur intérêt, ou ce qu’ils croient leur intérêt, ou meme tout simplement leur caprice les y poussera. | On n'a pas toujours des sauvages sous la maie pour vérifier l’exactitode de cette propo sition, mais on a des enfants, et l’expérience est facile à faire. Il suffit, par des questions habiles ou captieuses, de mettre un bambin en contradiction avec lui-même sur un peint futile quelconque ; on le verra s’engager presque aussitôt, et spontanément, dans la voie du mensonge, s’y ancrer, s’y complaire presque, et trouver, dans sa jeune imagination, des res sources inventives qui déconcertent par la somme de ruse qu’elles dénotent. « Cet âge est sans pitié » proclame le fabuliste. U est égale ment sans véracité. Et le proverbe, qui prétend que la vérité sort de la bouche des enfants, reçoit chaque jour de cruels démentis. L’affaire Laroche et l’affaire Mossmann, tou tes récentes, montrent à quel point les magis trats ont raison de se meûer du témoignage des enfants quand le sort d'un accuse dépend de ce témoignage. Résumuns-lcstrès brièvement, à titre d’exem ple : La petite Laroche, fillette maladive, détra quée, vicieuse, accuse son père d’un attentat abominable sur sa personne. Déjà elle avait fait condamner pour le même fait deux jeunes gens, Jaraet et Léger, qui étaient au bagne, et une servante qui subissait pour complicité la peine de la réclusion. * Une enquête sommaire aboutit d'abord au rappel en France des deux forçats dont la peine est commuée; la culpabilité du père entraînait la révision de leur procès et présumait leur inno cence. Or, voici que l’enquête médicale, plus approfondie, démontre l’innocence du père qui vient de bénéficier d’une ordonnance de uonlieu. Est-ce à dire que Jamet et Léger sont alors les coupables? Rien de moins prouvé. Car les médecins, étant donné le détraquement de la jeune Laroche et sa nature spéciale, en sont à se demander s'il y a jamais eu attentat et si, mentant dans le second cas, elle n'a pas aussi bien menti dans le premier. Passons à l’affaire Mossmann. Un clerc de ce nom, sacristain à la cathédrale de Besançon est frappé d’un coup de revolver, dans l’eglise, à la nuit tombante, en présence d’un unique témoin, le petit Bonnet. Celui-ci, interrogé, raconte que l’auteur du forfait, qu’il a vu, est un homme de grande taille, gros, avec une barbe tirant sur le roux. Quinze jours durant, tous les parquets de France recherchent le per sonnage gros, grand, roux, qui a pu se trouver à Besançon le soir du crime. Les investigations sont même rendues plus difficiles par un second interrogatoire de l'enfant qui revient sur ses déclarations premières : le criminel est toujours grand et roux, mais il est maigre et n’a plus que la moustache. Cependant le sacristain se rétablit, recouvre U parole et sa première déposition dénoncé qui ? Le jeune Bonnet lui-même, qui a agi par...