Extrait du journal

A peine y était-il parvenu que les deux agents de police 1 arrêtaient. Interrogé sur ce qu'il venait faire, il exhiba un pa pier et déclara qu’on lui avait parlé d’une grande quantité de bois à acheter déjà coupé et prêt à être livré ; il désirait voir cette marchandise pour savoir s'il devait 1 "acquérir. Les agents lui répondirent que ces bois servaient dès maintenant à la construc tion du nouveau chemin de fer qu'ils montraient à quelque distance ; « mais, ajoutaient-ils, il faut tout de même nous suivre chez 1 inspecteur ». Force fut à Zinnovitz d’obéir. Il n’était pas trop rassuré, car il avait sur lui quel ques notes de renseignements des plus compromettantes ; il allait être fouillé et il fallait détruire ces pièces à conviction. Voici comment il s'y prit, — raconte-t-il dans son rapport : Il tira des cigares de sa poche et en alluma un avec une de ses notes au nez de ses gardiens ; puis, laissant s’éteindre son cigare à plusieurs reprises, il les ral luma ainsi avec ses notes jusqu’à la der nière et cela sans que les deux agents vinssent à se douter de quelque chose. Interrogé par 1 inspecteur, on ne trouva rien de suspect sur lui : ses papiers étaient en règle; on dut le relâcher. Il repartit pour une ville voisine, longeant les tra vaux du chemin de fer dont il put, aussi tôt rentré, établir le tracé précis. Voici un autre fait qui ne remonte pas non plus au delà de la fin de l'année 1801 : A cette date, mourait, à 1 hôpital de Thorn, un jeune homme qui était arrivé épuisé et déjà fort malade en costume d’ouvrier. Aussitôt admis, ce malheureux avait fait demander un officier de la place, et lui avait déclaré que lui aussi était offi cier prussien ; qu'étant chargé d'une mis sion secrète en Pologne il s’était déguisé en paysan lithuanien et s'était mis à par courir les environs de Varsovie où l’on construisait des forts, demandant du tra vail à chaque chantier. Bientôt il fut embauché pour la cons truction d'un grand ouvrage que le génie russe faisait établir. Il dut vivre dans une hutte de paysan, travaillant toute la journée. Il put ainsi examiner à son aise ce que l’on construisait, puis au moyen de ques tions discrètes il se renseigna sur tout ce que l'on faisait aux environs; il par vint même à changer de chantier et à aller se faire embaucher pour la cons truction d'un autre fort. Mais le travail trop épuisant et la crainte perpétuelle d être découvert, dans laquelle il vivait, l’affaiblirent bientôt au point qu'il tomba complètement malade. Redoutant plus que jamais de se voir dé masqué, il se résolut coûte que coûte à repasser la frontière. 11 y parvint ; mais à bout de forces, arrivé à Thorn, avant de mourir, il voulut remettre au comman dant de place les notes qu’il avait prises et lui donner tous les renseignements verbaux qu’il pouvait fournir, afin qu’on transmit le tout au ministère de la guerre. On voit avec quelle adresse et quelle persistance les officiers prussiens vont aux renseignements ; on voit qu’aucun moyen ne leur semble mauvais pour les obtenir. Comme un jour on reprochait à un de ces agents de s être serv i de procédés peu honorables, le ministre le couvrit en pleine séance du Reichstag de sa protec tion : « Si ce fonctionnaire a agi de la sorte, loin de le blâmer, comme certains dé putés voudraient que je le fisse, je lui en exprime ici toute ma satisfaction ». JL-...