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Le Figaro, 2 juin 1932

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Le Figaro
2 juin 1932


Extrait du journal

Depuis que je me suis repris à Dosithée, je ne peux plus me passer d'elje. .J'abuse,-cela ne durera point. Tant pis. Je vais»#-' as; à l'heure du thé. Je la trouve soucieuse. — Est-ce la politique, dis-je, qui vous alarme ? Hélas ! à l'intérieur comme à l'extérieur, ce ne sont pas les sujets d'inquiétude qui manquent. Nous avons l'embarras du choix. Le dehors te fait peur ? Si tu voyais dedans ! Elle a un léger mouvement de recul. — Je ne me suis pas permis de vous tutoyer, dis-je. C'est une citation. Un vers de Ruy Blas. — Ah ! bien... Non, la politique ne m'effraie pas. Vous savez que je suis une femme de gauche. D'ail leurs, on ne parle que d'économies, cela me tran quillise. Ce qui me trouble... Mais vous vous moque rez de moi... — Ce serait la première fois de ma vie. — J'ai fait un rêve... Je parie que vous ne croyez pas aux rêves. — La mode d'y croire était bien passée ; mais on y revient, depuis que Freud nous a donné, des plus innocents, des interprétations à faire rougir les singés, les collégiens et même les jeunes filles... J'imagine, car je vous connais, que votre rêve èst parfaitement convenable?, • — Ah ! Dieu ! —Dites-le-moi donc. — Il est convenable, mais un peu... humiliant — Que vous m'intriguez ! "" " " —* Voici. Le lieu de la scène est la pergola de ma maison basque d'Hossegor, et la date 2032. J'étais morte depuis ldngtemps... — C'est affreux ! — Ce n'est pas affreux-, c'est tout naturel. Je n'ai pas la prétention de durer jusqu'au prochain siècle. Je n'étais pas du tout fâchée d'être morte, et j'étais en revanche bieh aise d'éprouver par moi-même que la mort, de qui on se fait un monstre, laisse toutes nos facultés intactes. — Vous savez maintenant à quoi vous en tenir. Est-ce un bien ? Bergson )'â dit que si nous étions sûrs d'avance de notre immortalité, nous ne pour rions plus penser à autre chose. — C'est apparemment pourquoi la prudence di vine nous a refusé cette certitude ; mais si vous m'interrompez toujours...' -—Pardon. -i»i.) — J'étais donc, si • jè puis dire, absolument comme à mon ordinaire1. 'Du moins, à mon point de vue ; car, pour les autres,-j'étais invisible. Quelle commodité ! Ces autres, itri grand garçon de dixhuit à vingt ans, et une belle fille, un peu plus jeune, devaient être les petits-enfants de mon futur petitfils : je les reconnus à l'air de famille. Ils venaient sans doute de jouer à quelque jeu violent qui n'est pas encore inventé,' ils semblaient tués de fatigue. La fille bâillait à se déctocher la mâchoire, au mé pris clé là coquetterie la jfliis élémentaire ; le garçon était tout de son long étendu sur mon pauvre divan, dont il labourait de ses talons l'étoffe jaufie, déjà bien fripée, bien usée. Il dit enfin : « Montre-moi la collection de l'aïeule, ou ijè vais dormir et je n'en tendrai pas le gong du dîner. » Ma collection ? Oh ! c'est trop gentil ! 'Ué'ne .jette jamais un cata logue : ils ont gardé toutes .tes paperasses ! Et leur joie est de les feuilleter ! Je fus moins touchée lors que j'entendis leurs commentaires... irrespectueux : « Non, cette robe ! — C'est ça, un chapeau ? — Et ce pyjama bariolé à pied d'éléphant ! — Et ces dessous, ma chère ! » L'a'petite fille de mon futur petit-fils dit, sérieusement Ce que je ne peux pas comprendre, c'est qu'on raconte que les femmes de cette époque-là étaient allantes, intrépides, intelli gentes, enfin des femmes de'tête. Regarde un peu la touche et la figure que leur prêtent les dessinateurs de modes. Quelles poseuses ! Et elles ont toutes l'air d'être droguées ! C'est de la diffamation. Moi, je te jure que j'aurais vite fait de retirer ma pratique à un couturier qui oserait caricaturer ainsi la femme de mon temps... » Pourquoi ne dites-vous rien ? — Parce que je ne suis pas loin de penser comme mademoiselle votre arrière-petite-fille... — J'ai l'air d'une poseuse ? J'ai l'air d'être dro guée ? ; J!î — Vous, non. Mais les mannequins des étalages, chère amie... Et voyez lfr péril : ce sont en somme des modèles que l'on vous propose ; quel désastre s'il se trouvait parmi vous des naïves ou des snobs pour essayer de leur ressembler ! Abel Hermant, ' de l'Académie française....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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