Extrait du journal

nie. Il nous apparaît sublime, moins par ses paroles et par ses actes, que par les hommages qu'il reçoit. Il faut, en effet, que le personnage- illustre soit ex trêmement prudent et silencieux et qu'il ne dise que le strict nécessaire, car si nous nous plaisons à imaginer la gloire, nous avons une tendance à être agacés lorsqu'on nous montre son visage sous des traits trop précis. Nous ne consentons pas à ce qu'un grand sa vant ou un grand poète se serve, dans les circonstances quotidiennes, de mots ordinaires. Un jeune écrivain venait du fond de sa province, pénétré d'admira tion pour Victor Hugo ; il avait pour lui une lettre de recommandation. Il le vit et s'en alla déçu, navré parce que, après quelques phrases d'une grande banalité, l'auteur , de la Légende des, Siècles avait- ouvert sa porte en criant à sa servante : « Il est plus de midi, j'ai faim ; est-ce qu'on ne va pas sè mettre à table ! » Nous ne permettons au per sonnage illustre d'avoir fairo, que s'il doit- en mourir. A un moment choisi de là pièce — deuxième ou troisième acte de préféren ce — deux incidents essentiels s'impo sent : 1° l'apparition de la femme ou de l'homme aimé, qui menace le labeur magnifique du héros ou de l'héroïne ; 2° le retour du raté qui vient refaire le malin et dire à son filleul : « Sacrifiez votre cœu-r à votre œuvre, la postérité vous regarde, vous vous devez à elle. » Après l'apothéose du génie, le person nage illustre, qui connaît sa gloire et son public, n'a plus qu'une chose à fai re, c'est de mourir. Il y consent toujours. La façon dont il mourra lui est à peu près indifférente pourvu que ce ne soit pas sans phrases.II parle, il parle, s'évanouit, puis reparle et continue ainsi avec des alternatives de syncopes et de ver...