Extrait du journal

RECIT D'UN TÉMOIN Nous racontions, il y a quelques jours, la singulière aventure d'un de nos amis, parti en villégiature pour la Crète, et qui y était tombé au beau milieu des événements que l'on sait. Notre ami nous annonçait une lettre qui aurait au moins le mérite de raconter les choses telles qu'elles avaient été vues. Cette lettre nous arrive aujourd'hui, et nous la publions dans sa saisissante simpli cité, comme l'instantané le plus exact de ces événements d'Orient, à la fois si éloignés et si rapprochés de nous, et qui mettent, depuis; cette semaine surtout, l'Europe fi l'envers. Voici cette lettre : La Canée, le 12 février 1897. Mon cher ami, Vous avez déjà reçu mon télégramme, et vous savez que je suis sain et sauf. Mais il ne faut pas trop se vanter. Je suis un peu dans la situation du bonhomme qui tombait du cinquième étage et qui, arrivé au second, se disait : « Jusqu'ici, tout va bien, mais attendons la fin! » Seulement, comme nous en sommes tous, là, nous prenons notre mal en patience, et j'avoue même que si tout se passe bien, .comme on peut en somme l'espé rer, cela enrichira mes souvenirs de voyage d'une villégiature qui n'aura pas; été banale. Ma première impression, en arrivant dans ce pays, avait été désastreuse. Ces villes d'Orient, qui sont de loin de si beaux trompe-l'œil, sont, de près, tout à fait repoussantes. Un admirable décor qui ne dissimule que des ruines, uni' manteau d'or qui ne cache que des gue nilles. La Canée, qui, vue du large, est toute blanche, étincelante, n'est plus, quand on y a mis le pied, qu'un cloaque, aux rues étroites et sales, où bêtes ; et gens grouillent sur les portes, dans une promiscuité du jour et de la nuit. Et encore, je ne vous parle que dû temps de paix. Figurez-vous ce que peut être La Canée en ce moment, dans ce dé sordre et dans cet abandon. Le feu, qui n'a rien purifié du tout, a, commepar ha sard, respecté les rues les plus sales, et dévasté le seul quartier fréquentable, qui était le quartier chrétien. Plus de six cents maisons ont été incendiées, et quant à savoir, le nombre des morts et des blessés il n'y faut pas songer. On en découvre, chaque jour, par tas, et l'île est encore un vaste foyer. Les villages chrétiens situés autour de La Canée sont presque tous entièrement détruits. La fusillade a cessé, ici, il y a trois jours, mais on se bat hors de la ville. Les Crétois ont planté le drapeau grec sur la montagne et proclamé l'an nexion à la Grèce.-Ils attendent des reo-...