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Le Figaro, 26 mai 1932

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Le Figaro
26 mai 1932


Extrait du journal

Quelqu'un, l'autre jour, m'a demandé à brûlepourpoint des nouvelles de Dosithée. Peu s en faut que je n'aie répondu : « Qui est-ce ? » Puis, je me suis ressouvenu de la réplique d'Alceste : A peine pouvez-oons dire comme il se nomme, et je me suis aperçu avec confusion, avec effroi, que je n'avais pas donné signe de vie à cette grande amie depuis six mois au bas mot, que je n'avais plus parlé d'elle ici ; par parenthèse, ce dernier point lui a dû être le plus sensible. Après tout, elle est un peu resnonsable de ma négligence : depuis la. crise, par convenance, dit-elle, aussi, j'imagine; par économie, elle ne reçoit plus. Mais elle accepte les invitations. Je résolus dé lui en faire une qui n'est pas à la por tée du premier .venu et qui ne comporte aucuns frais:» on n ose plus offrir de billet ae théâtre depuis qu'il y a les taxes. Je lui envoyai une de mes places du centre pour la réception du général Weygand. Elle fut la première femme que j'avisai (que les autres me pardonnent !) lorsque j'entrai, au son des tambours, dans la salle de la Coupole, qui était — cela se chante — comme un bouquet de fleurs. Elle avait trouvé moyen de s'asseoir à côté du nonce, contre qui elle était pressée par un voisin bien à propos corpulent. Elle en devait être ravie, et j'étais fort aise de lui avoir ménagé ce ravissement : le seul bonheur n'est-il pas la joie des autres ? J'ajoute que sa tenue, qui n'avait pas laissé de m'inquiéter, me donnait toute satisfaction. Bien que de puis la crise elle ait fait vœu de renoncer aux pom pes du siècle, elle était habillée avec un luxe discret. Elle avait retiré du coffre de son mari ses admira bles perles. Enfin, elle avait poussé le respect de l'Institut de France jusqu'à se coiffer de quelque chose qui ressemblait à un chapeau, et non, comme le veut la dernière mode, à un pansement après acci dent d'automobile. Je fus encore plus content d'elle quand elle vint après la séance me remercier dans le vestibule, j'al lais écrire : dans la sacristie. Elle avait les larmes aux yeux. L'émotion si touchante du très cher et très vénéré M. Jules Cambon l'avait gagnée. Elle qui commence à dire, quand elle entend parler de 1914 : « J'étais si jeune !... » elle était toute sur prise et presque flattée de pouvoir être ainsi mise sens dessus dessous par des souvenirs de 1870. Quant au discours du général Weygand, il l'avait à la lettre empoignée, et elle ne cessait pas de ré péter — un peu trop haut : « Il ne faudra plus maintenant venir me raconter que ce n'est pas Joffre qui a gagné la bataille de la Marne. » En me quit tant, elle me dit : — C'est bien ce qu'on appelle une grande séance ? — Mais oui, dis-je, une séance historique. Sa sincérité, sa naïveté me plurent si fort que j'al lai lui rendre visite dès le lendemain. Hélas ! je trou vai une autre femme, circonspecte, méfiante. « Nous nous sommes emballés », disait-elle. J'eus sans trop de peine l'explication de ce changement soudain. Dosithée est une âme snob,et craintive, elle tremble toujours d'être dupe. Elle avait lu tous les journaux du matin, et l'accord unanime de la presse avec ses propres sentiments de la veille l'avait rassurée ; mais, le soir, elle avait lu un article, un seul, dont l'auteur semblait n'avoir rien entendu, sinon que le récipien daire faisait un lapsus, ni rien vu, sinon que le ma réchal Lyautey, au lieu dé s'asseoir à droite du bu reau, allait s'asseoir à gauche, et que le général Weygand avait une petite éfrée. Il n'en avait pas fallu davantage pour la désenchanter. — Remettez-vous, lui dis-je en riant. J'ai lu comme vous cet article : c'est l'erreur d'un homme qui n'a pas d'esprit. On ne se résigne pas facilement à cette disgrâce dans notre métier, et l'on essaie de suppléer l'esprit par le persiflage, qu'on prend pour l'humour : on a tort, car l'humour ést ingénu et char mant, le persiflage est odieux. Comme il est des malheureux, a dit un poète, qui ont « le triste amour du laid », il en est qui ont celui de la petitesse, que toutes les grandeurs incommodent, et qui éprouvent le besoin de les mettre à l'échelle de leur médiocrité. Dosithée m'interrompit : — Vous pensez bien, me dit-elle avec une suffi sance légèrement comique, que j'ai mes idées à moi, et que je ne tiens nul compte de toutes ces... Comme elle hésitait sur le mot, je lui soufflai, crainte de pis : impertinences. Abel Hermant, de l'Académie française...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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