Extrait du journal

Assis dans les fauteuils moelleux de la salle des conférences, les radicaux du Sénat disaient hier : « Le gouvernement, demain, sera battu par 3 ou 4 voix. s> Des amis du ministère, sur un canapé voisin, déclaraient : «Il aura 10 à 12 voix de majol'itéi » Les sénateurs étaient assez nombreux, nom breux aiissi les députés et les informateurs venus pour respirer l'air de celle veillée des armes. Plu sieurs membres du gouvernement et leur chef étaient là, autour desquels les honorables s'assem blaient. Un ancien ministre qui n'aspire plus au pouvoir expliquait ceci à des journalistes : — Les choses, à mon avis, se présentent bien pour le cabinet. L'opposition, ici aussi, est violente. Mais si, comme à la Chambre, elle connaît et pra tique au Sénat la guerre au couteau, c'est du moins la guerre au couteau propre. On y garde encore, malgré l'afflux ^démagogique des dernières élections, le sens dos responsabilités. On-y regrette que la République ait été toujours une uèeuse d'hommes et qu'à ses meilleurs serviteurs rarement elle ait permis de donner leur mesure. Les radicaux au jourd'hui loueront encore la mémoire de Ferry qui est un mémorable exemple de ce phénomène d'envie impatiente. En ce qui concerne le débat de demain, beaucoup estimeront que dans les circons tances politiques actuelles, dans une situation in térieure et extérieure aussi trouble, on n'a pas le droit de renverser par pure passion de parti un homme de la valeur démontrée d'André Tardieu. On n'a pas le droit non plus de provoquer une crise quand on ignore comment elle pourra être dénouée. Dans cette même somptueuse galerie où l'agitation même garde de la t^enue, des radicaux socialistes, en formant le cercle, s'entretenaient de leur tac tique et du terrain d'attaque : C'est sur la laïcité, c'est sur l'école unique et son culte désormais obligatoire pour tout républicain, que portera prin cipalement l'assaut. Ils se remémoraient les gran des lignes de ce programme de Grenoble qui se condense en une phrase : Abattre le gouvernement actuel et, sous un ministère soutenu par les socialistes, rétablir les bons préfets aimés des loges. Ces pères conscrits de la rue de Valois sortaient à ce moment de la réunion de la gauche démocra tique radicale, etc... Le groupe comprend 147 mem bres. Ils étaient 65 votants à cette réunion destinée '«'•arrêter, les termes d'jjn ordre du jour qui devait être ce soif celui de la victoire. IIS'ont finalement décidé qu'ils proposeraient l'ordre du jour pur et simple, lequel a le double avantage d'être mis aux voix, avant tout autre, et de n'obliger à formuler aucune idée sur laquelle l'accord du groupe ne se ferait pas. Il ne marque, en vérité, que le désir de renverser le gouvernement. Seul, M. Héry est inscrit jusqu'ici comme orateur. D-'autres qu'on annonçait se sont récusés. Dans l'embrasure d'une des hautes fenêtres, un autre lot de remplaçants envisageait l'avenir. — Si le gouvernement l'emporte, disait l'un d'eux à un valoisien de peu de foi qui ne pouvait écarter cette désolante hypothèse, nos amis de la Chambre recommenceront l'attaque le lendemain et trois fois par semaine, jusqu'à ce qu'il tombe. Voilà comment les radicaux comprennent la bonne gestion des affaires de la France. A la fin de l'après-midi, on annonçait que M. Raymond Poincaré assisterait à la séance et que ce n'était pas pour seconder l'opération des cartellistes qu'il venait. Dans les couloirs de la Chambre, on avait conti nué à parler de la commission d'enquête. On y est satisfait : le scandale semble devoir bien se déve lopper. Mais l'enthousiasme n'est plus unanime. Henri Vonoven....