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Le Figaro, 4 janvier 1940

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Le Figaro
4 janvier 1940


Extrait du journal

CHRONIQUE NOËL EN LORRAINE SAINT-SYLVESTRE EN PÊRIGÛRD PAR ANDRÉ MAUROïS" de l'Académie française. j J'ai passé le jour de Noël avec les troupes britanniques. Le spectacle eût ravi Dickens. Jamais paysage de comté anglais ne fut plu8 parfaitement un décor de Noël que celui dans lequel l'Est de la France fit, cette année, vivre nos alliés. C'était beau jusqu'à en être irréel. Un brouillard vaporeux enveloppait nos campagnes et les revêtait de mystère. On ne voyait guère au delà de cin quante mètres, mais ce .cercle étroit était féerique. Chaque arbre, chaque buisson couvert dé givre se transformait en un bouquet de coraux étincelants, les réseaux de barbe lés, monstres touchés eux aussi par quelque fée shakespea rienne, ressemblaient, dans leur gaine de blancheur, à ces fils argentés qui brillent parmi les branches du sapin de Noël. Dans les villages évacués, la neige ranimait les mai sons mortes. Deux lauriers, devant une auberge vide, poudrés de cristaux lumineux, prenaient un air de giran doles. Chaque bosquet des jardins devenait une crèche, chaque allée des forêts une église de marbre blanc. Sur les routes, animés par le froid, glissant sur le verglas, soldats français et soldats anglais se saluaient joyeusement. Puis, quand on approchait de la ligne de contact, le silence deve nait prodigieux. Aucun canon ne tirait, aucune voix, aucun cri ne rompait l'enchantement. Dans les fermes désertes, aucun chien n'aboyait, aucune vache ne meuglait. La brume, masquant les lignes adverses, enfermait chaque poste, chaque guetteur, dans uné bulle décorée de rameaux resplendissants. En vérité, ce Noël de guerre aura été, pour quelques soldats anglais ou écossais, non certes le Noël le plus joyeux, mais peut-être l'un des plus beaux de leur vie. Au lendemain de Noël, j'ai pris ma permission '< de détente », et me voici en Périgord, dans notre vieille maison qu'animent, depuis le début de la guerre, plus de soixante réfugiés alsaciens. Ici aussi la neige enve loppe les collines, les bois, les champs et, dans la vallée, les ruines du château. Elle enchante les Alsaciens, en leur rappelant l'hiver de leur pays. Ils me racontent qu'en septembre, au moment de leur arrivée ici, ils avaient quitté tout ce qu'ils possédaient, tout ce qu'ils aimaient ; ils avaient voyagé deux jours et deux nuits ils arrivaient dans une province inconnue. Quel accueil leur ferait-elle ? Deux patois se heurtaient. Les habitu des, ^les idées, tout était différent. Aujourd'hui, après quatre mois, l'accord est fait, l'amitié conclue, l'affection grandissante. Enfants alsaciens et enfants périgourdins vont ensemble à l'école, construisent ensem ble des bonshommes de neige, chantent ensemble au tour de l'arbre de Noël : « Mon beau sapin, roi des forêts... » Deux grandes cuisines s'affrontent : les ménagères alsaciennes apprennent à goûter le clafoutis ; les ménagères périgourdines prêtent leur four pour cuire le kugelopf. Curés périgourdins et curés alsaciens mettent en commun leurs parois ses. Ainsi cet exode, qui, au début, ne semblait que dou loureux et pénible, aura été, tant est réelle l'unité pro fonde de la France, l'occasion d'un mélange plus intime de nos provinces. Quand viendront la victoire et la paix, les Alsaciens seront heureux de rentrer chez eux, bien , sûr, mais beaucoup d'entre eux ne quitteront pas sans émotion leurs amis des mauvais jours. Ét chez nous, le soir de la Saint-Sylvestre, en entendant à minuit, sur la neige, le chœur à quatre voix des jeunes filles alsacien nes donner à nos fermiers une nocturne et ravissante sérénade de bonne année, une femme a soupiré malgré elle : « Comme ce sera triste quand ils n'y seront plus. » André Maurois, 'de l'Académie française....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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