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Le Figaro, 3 mars 1897

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Le Figaro
3 mars 1897


Extrait du journal

nale, et l'on n'y pourrait plus toucher qu'au prix de quelque révolution : les "« Tr&is Joyeuses > après les « Trois Glorieuses ». Merci bien ! Tout ce qu'on peut demander, et encore très timidement, c'est qu'on réglemente un peu cette joie trop encombrante, ces folies trop débordantes, et que le plaisir des uns ne soit pas une gêne et même un supplice pour les autres. Et il y a moyen de tout arranger, car nul ne songe, assurément, à priver le bon peuple de Paris de ses fêtes du carnaval. Les occa sions de s'amuser ne sont pas si fréquentes, et l'on doit même s'applaudir que ce mardi gras, si austère et si maigre qu'il ressemblait à un vendredi saint, ait, depuis quelques an nées, repris tout son entrain et tout son éclat. Mais l'excès en tout est un défaut, et c'est à Paris surtout qu'il ne faut pas abuser, même des bonnes choses. Au lieu d'un bœuf, nous en avons trois ; trois journées aussi au lieu d'une, et nous avons bel et bien découvert la se maine des trois mardis ! Qu'il y ait des gens que cela amuse, ce n'est pas douteux. On trouve de tout à Paris, et il ne manquerait pas de badauds pour aller ainsi jusqu'au samedi, voir passer des bœufs et même des grenouilles. Mais pourquoi y forcer aussi ceux auxquels une seule représentation suffit, et qui rentrent le soir amplement satis faits lorsqu'ils ont, patriotiquement, durant toute une journée, subi des confetti dans les yeux,' des serpentins dans les jambes, des pe tits balais dans le cou, et des centaine des gens sur les pieds? Pourquoi les obliger A-re commencer le lendemain, et encore le -surlen demain ? Pourquoi, lorsqu'ils ontdéjà vu passer Messidor et Don Juan, veut-on leur faire voir encore Champignol malgré eux et même mal gré lui ? On dira qu'il n'est pas facile de contenter tous les Parisiens en un jour. D'accord, mais il est très simple de procéder par tranches, par quartiers déterminés , et de ne pas li vrer pendant les trois jours la ville tout en tière à la sarabande carnavalesque. Le di manche, par exemple, le Bœuf gras serait roi sur les boulevards : il y passerait en maître, et il va de soi que confetti et serpentins y fe raient rage. Personne n'aurait à y redire, et ceux que cela n'amuserait pas n'auraient qu'à respecter, comme on dit en Crète, la zone in terdite. Mais le lendemain, il serait de toute justice de rendre le boulevard aux boulevardiers,et de transporter le Bœuf gras à un autre bout de Paris, au quartier Latin, par exemple, où le suivraient confetti, serpentins et petits balais, qui seraient alors formellement inter dits là où le cortège aurait passé la veille. Sur ces bases-là, tout le monde s'en tendra. Autrement, M. Lépine peut m'en croire, cette fête se gâtera, elle aussi, et un beau jour elle tombera à plat, comme le 14 Juillet déjà nommé. Il faudra donner des décorations çour la galvaniser un peu. Tout passe et tout..lasse bien vite dans notre Paris, et c'est un vieux principe que la liberté de chacun, même en carnaval, s'arrête lâ ou comnjencé la liberté du voisin. La gaieté populaire,,bien souvent, ne respecte rien : j'ai vu hier, à un tournant de rue, loin, très loin du passage du cortège, un jeune garnement lancer à toute volée une poi gnée de confetti par la portière d'une voiture de maître, arrêtée dans un encombrement. Dans la voiture était une femme en grand deuil, qui eut un soubresaut d'émotion, et .ces paillettes multicolores sur ce long voile noir, cette joie du dehors tombant si brusque ment sur cette tristesse, c'était cruel et c'était brutal... Et puis, ce n'est pas seulement aux boulevardiers qu'il faut penser, c'est au boulevard lui-même que cette orgie de papier peint n'em bellit pas. Cette sorte de matelas bariolé, où l'pn enfonce jusqu'à la cheville, n'est déjà pas d'un très heureux effet par les beaux temps ; mais quand il pleut, comme hier soir, c'est une bouillie. Les confetti se comportenttrès mal sous la pluie. Et la nuit venue, très tard, quand les rues commencent à être désertes, c'est un étrange spectacle que celui de toutes ces voitures à bras, de ces carrioles, rangées le long des trottoirs, ou plantées au milieu de la chaussée, qui forment, sous leurs lampions tremblotants, comme un campement de bohè mes, et qui, selon l'état d'esprit où l'on se trouve, semblent comiques ou sinistres, donnant l'impression d'un coin de foire ou d'un coin de barricades. Il y faudra songer l'année prochaine, et avi ser à ne pas faire encore du mardi gras une de ces trop nombreuses fêtes « éminemment parisiennes », où, pour attirer l'étranger et la province à Paris, on en fait partir tous les Parisiens ! Pierre Durand....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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