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Le Figaro, 16 mai 1896

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Le Figaro
16 mai 1896


Extrait du journal

sont plus forts que nous, toujours ils nous battront. » Si cela était vrai, ce se rait vraiment humiliant:. Mais* pourquoi serait-ce vrai ? •• Le don a beau exister, le travail et l'intelligence, quand même, peuvent tout. Je connais déjà des chré tiens qui sont des Juifs très distingués. Le champ est libre, et s'ils ont eu des siècles pour aimer l'argent et pour ap prendre à le gagner, il n'y a qu'à les sui vre sur ce terrain, à y acquérir leurs qualités, à les battre avec leurs propres armes. Mon Dieu ! oui, cesser de les in jurier inutilement, et les vaincre en leur étant supérieur. Rien n'est plus simple,' et c'est la loi même de la vie. Quelle satisfaction orgueilleuse doit être la leur, devant le cri de détresse que vous poussez ! N'être qu'une minorité infime et nécessiter un tel déploiement de. guerre ! Tous • les matins, vous les foudroyez* vous battez désespérément le rappel, comme si la cité se trouvait en périld'être prise d'assaut! A vous en tendre, il faudrait rétablir le ghetto, nous aurions encore la rue des Juifs, qu'on barrerait le soir avec des chaînes. Et ce serait chose aimable, cette quarantaine, dans nos libres villes ouvertes. Je com prends qu'ils ne s'émotionnent pas et qu'ils continuent à triompher sur tous nos marchés financiers, car l'injure est la flèche légendaire < qui re tourne crever l'œil du méchant archer. Continuez donc à les persécuter, si vous voulez qu'ils continuent à vaincre ! . La persécution, vraiment,.vous en êtes encore là? Vous en êtes encore à cette belle imagination qu'on supprime les gens en les persécutant? Eh ! c'est tout" le contraire, pas une cause n'a grandi qu'arrosée du sang de ses martyrs. S'il y a encore des Juifs, c'est de votre faute. Ils auraient disparu, se seraient fondus,si on ne les avait pas forcés de se défen dre, de se grouper, de s'entêter dans leur race. Et, aujourd'hui encore, leur plus réelle, puissance vient de vous, qui la rendez sensible en l'exagérant.On finit par créer un danger, en criant chaque matin qu'il existe. A force de -montrer au peuple un épouvantail,, on crée le monstre, réel. Ne parlez donc plus d'eux, et ils.ne.seront plus. Le jour où le Juif ne sera qu'un homme comme nous, il sera notre frère. Èt la tactique is'indique, absolument opposée. Ouvrir as bras tout grands, réaliser socialement ; l'égalité reconnue; par le Code. Embrasser les Juifs, pour les absorber et les confondre-en nous. "Nous enrichir de leurs qualités, puis qu'ils en ont. Faire .cesser la guerrç des races en mêlant les races» Pousser aux mariages, remettre aux enfants le" soin de réconcilier les pères. Et là seulement est l'œuvre d'unité, l'couvre humaine et libératrice. ^ *** • : L'antisémitisrqe, dans les pàys'où il a; une réelle importance^ n'est jamais que l'arme d'un parti politique'ou le résultat d'une situation économique grave. Mais, en France, où il n'est pas vrai que les Juifs, comme on veut nous en convaincre, soient les maîtres absolus du pouvoir et de l'argent, l'antisémitisme reste une chose en l'air, sans racines au cunes dans le peuple. Il a fallu, -pour créer une apparence de mouvement, qui n'est au fond que du tapage, la pas sion de quelques cerveaux fumeux, où se débat un louche catholicisme de sec taires, poursuivant jusque dans les Rothschild, par un abus de littérature, les descendants du Judas qui a livré et cru cifié son Dieu. Et j'ajoute que le besoin d!un terrain de vacarme, la rage de se faire lire et de conquérir une notoriété retentissante, n'ont certainement pas été étrangers à cet allumage et à cet entre tien public de bûchers, dont les flammes sont heureusement de simple décor. Aussi quel échec lamentable! Quoi? depuis de si longs mois, tant d'injures, tant de délations, des Juifs dénoncés chaque jour comme des voleurs et des assassins, des chrétiens mêmes dont on fait des Juifs quand on les veut atteindre, tout le monde juif, traqué, insulté, con-i damné ! Et, au demeurant, rien que du ' bruit, de vilaines paroles, des passions basses étalées, mais pas un acte, pas un coin de foule ameuté, ni un crâne fendu, ni une vitre cassée ! Faut-il que notre petit peuple de France soit un bon peu ple , et. sage, et honnête ,'■ pour ne pas . écouter ces appels quotidiens à la guerre civile, pour garder sa raison, au milieu de cesexcitationsabominables, cette demande journalière du sang d'un Juif ! Ce n'est plus d'un 'prêtre que le journal déjeune'chaque matin, mais d'un Juif, le plus gras, le plus fleuri qu'on puisse trouver. Déjeuner aussi médiocre que l'autre, et pour le moins aussi sot. Et, de tout cela, il ne reste que la laideur de la besogne, la plus folle et la plus exécrable qui soit à faire, la plus inutile aussi, heureusement, puisque les pas sants de la rue ne tournent même pas la tête, laissant les énergumènes se débat tre comme des diables dans de louches bénitiers. L'extraordinaire est qu'ils affectent la prétention de faire une œuvre indispen sable et saine. Ah! les pauvres gens, comme je les plains, s'ils sont sincères ! Quel épouvantable document ils vont laisser sur eux : cet amas d'erreurs, de mensonges, de furieuse envie, de dé mence exagérée, qu'ils entassent' quo tidiennement! Quand un critique vou dra descendre dans ce bourbier, il reculera d'horreur, en constatant, qu'il n'y a eu là que passion religieuse et qu'intelligence déséquilibrée. Et c'est au pilori de l'histoire qu'on les clouera, ainsi que des malfaiteurs sociaux* dont les crimes n'ont avorté que grâce aux conditions de rare aveuglement dans lesquelles ils les ont commis. Car là est. ma continuelle stupeur, qu'un tel retour de fanatisme, qu'une telle' tentative de guerre religieuse, ait pu: se produire à notre époque, dans no tre grand Paris, au milieu ,de notre bon peuple. Et cela dans nos temps de démo...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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