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Le Figaro, 11 août 1901

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Le Figaro
11 août 1901


Extrait du journal

il s'opère ici par en dessous, au moyen .de-fours souterrains qui sont disposés tout le long des salles et-que nous allu merons ce soir, dès que tombera la nuit glacée. Pour le moment, le soleil splendide nous suffit ; tous ces vitrages, "dans la galerie où brillent-les soies, les émaux et les ors, nous donnent une chaleur de serre, et, servis toujours dans de la vaisselle d'empereur, nous prenons cette fois notre petit repas de campagne en nous faisant des illusions d'été. Mais ce ciel de,Pékin a des variations excessives et soudaines, dont rien ne peut donner l'idée chez nous, dans nos climats si réguliers. Vers le milieu du jour, quand je me retrouve dehors, sous les cèdres de la « Ville jaune », le soleil a brusquement disparu derrière des nua ges couleur de plomb, qui semblent lourds de neige ; le vent de Mongolie re commence de souffler comme hier, âpre et glacial, et c'est l'hiver du Nord, suc cédant sans transition à quelques heures d'un temps radieux du Midi. J'ai rendez-vous par là, dans le bois, avec les membres de. la légation de France, pour pénétrer avec eux dans cette sépulcrale « Ville violette », qui est le centre, le cœur et le mystère de la. Chine, le véritable repaire des Fils du Ciel, la citadelle énprme et sardanapa-' lesque, auprès de quoi tous ces petits palais modernes, que nous habitons, en, pleine «Ville impériale », ne semblent être que jouets d'enfant. 'Mêmë depuis la déroute, n'entre pas qui veut dans la « Ville violette » aux grandes toitures d'émail jaune. Derrière les doubles remparts, des mandarins, des eunuques habitent encore ce lieu d'oppression et de magnificence ; on dit qu'il y est resté aussi des femmes, des princesses cachées, des trésors. Et les deux portes en sont défendes par des consignes sévères, celle du Nord sous la gardé des Japonais, et Celle du Sud sous la garde des Américains. C'est par la première de ces deux en trées que nous sommes autorisés à pas ser'aujourd'hui, et nous trouvons là un groupe de petits soldats du Japon, qui nous sourient pour la bienvenue; mais la porte farouche, sombrement rouge avec des ferrures dorées représentant des têtes de monstre, est fermée en dedans et résiste à leurs efforts. Comme l'usure des sièclefe en a disjoint, les bat tants énormes, on aperçoit, en regar dant par les fentes, des madriers arcboutés derrière pour empêcher d'ouvrir, — et des personnages, accourus de l'in térieur au fracas des coups de- crosse, répondent avec 'des voix flûtées qu'ils n'ont pas d'ordres. Alors nous menaçons d'incendier cette porte, d'escalader, de tirer des coups de revolver par les fentes,etc..,toutes choses que nous ne ferons pas, bien entendu, mais qui épouvantent les eunuques et les mettent en. fuite. Plus personne même pour nous ré pondre. Que devenir ? On gèle au pied de cette sinistre muraille, dans l'humidité des fossés d'enceinte pleins de roseaux morts, et sous ce vent de neige qui souf fle toujours. ^ Les bons petits Japonais, cependant, imaginent d'envoyèr le plus râblé des leurs — qui part à toutes jambes — faire le tour par l'autre porte (quatre kilomè tres environ). Et en attendant, ils allu ment pour nous par terre un feu de bran ches de cèdre et de boiseries peintes, où nous venons à tour de rôle chauffer nos mains dans une fumée épaisse ; (nous amusant aussi à ramasser, de-ci de-là, aux alentours, les vieilles flèches em pennées que jadis -les princes ou les empereurs lançaient du haut des rem parts. Au bout d'une heure de patience, du bruit et des cris se font entendre enfin derrière.la porte silencieuse : c'est notre envoyé qui est dans la place et bouscule à coups de poing les ■ eunuques qu'il a pris à revers. Tout aussitôt-, avec un grondement sourd, tombent les madriers, et s'ou vrent devant nous les deux battants ter ribles. Pierre Loti....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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