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Le Figaro, 13 février 1939

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Le Figaro
13 février 1939


Extrait du journal

DoU viens-tu ? — Et toi-même ? — D'une exposition qui s'intitule les Arts Ménagers... D'ailleurs, je crois bien t'y avoir aperçue. Ne cherchais-tu pas, en vain, un balai ? — C'était donc toi ? Mais, on a beau être encore sorcière, comment donc, aujourd'hui, recon naître une fée ? Certes, tu as une démarche ailée, des che veux d'or et des toisons de renards cachant ta robe, cou leur d'un hiver diapianté,. »ana~dout©M# «Mais-:îe t'ai prisé pour une vedette de cinéma. — Et toi, pauvre amie, je' n^r t'ai reconnue qu'à ta recherche du balai* . Car, , si tu es toujours mal coiffée et un peu courbée, tu es aujourd'hui vêtue comme maintes pauvres personne» du meilleur monde. — Qu'as-tu fait de ta baguette ? — Elle est dans mon sac, réduite à la proportion d'un crayon ou d'un face à main. Voilà vingt ans, je la portais encore en manene de "parapluie ; elle a raccourci avec leur taille ; et maintenant le plus nain d'entre eux est encore trop grand pour elle. Mes pouvoirs ont diminué en proportion. La, science nous a tout pris, ma chère. Nul n'a plus besoin de nous. As-tu constaté toutes les inventions nouvelles ? Le rôti cuit tout seul, la lessive se fait mécaniquement, l'aspirateur enlève la poussière... Aux champs, les machi nes aussi épargneront tout travail au paysan,/à: là- ména gère... — Je m'en aperçois bien... Tous mes gnomes sont en chômage... — Les gnomes ? Tes gnomes ? On m'a dit qu'ils étaient pleins d'orgeuil depuis .qu'un fameux moteur d'avion porte leur nom..# — L'avion ? Ah ! ma chère ! comme il a détrôné le char des enchanteurs, et le tien, ma belle, qui t'enlevait dans les airs,par les ailes de tes colombes !... Je ne parle même plus du pouvoir maléfique qui, à cheval sur un manche à balai (une pièce des avions a pris ce nom, d'ailleurs, et peut-être en sou venir) me permettait de ramoner d'un élan fougueux ma cheminée avant de me laisser ravir,par le vent-qui;m'em portait au sabbat... De ces pouvoirs aériens dont nous étions seuls à nous servir depuis les chars, de .feu des pro phètes, qu'ont-ils fait ? — De bien grandes choses, il faut' le dire : voyages, commérce, échanges, rapides visites de.s uns chez les autres, et de l'aventure et des audaces et des héroïsmes... — Oui, oui, la fée ! Mais,, aussi de la guerre, d'affreux dangers, les bombardements, d'autres feux du ciel, des menaces nouvelles,, des possibilités pestilentielle* et mortelles, aussi hideuses que les pouvoirs du diable... Je peux bien te l'avouer, c'est moi, et ce sont mes pareil les, les servantes du démon, qui nous vengeons ainsi d'avoir été dépouillées par-les découvertes et les intelli gences humaines de nos prérogatives séculaires... Ce qu'ils trouvent, en croyant inventer, ce qui pourrait. être uniquement bienfaisant, nous le détournons sataniquement vers des buts horribles. Toi, la fée, tu es plus douce — tu te contentais de rendre laid, ou méchant, < le nouveau- né qui ne t'avait pas invitée à son baptême. — A quoi bon infliger la laideur ou donner la beauté ? soupira la fée... Tu sais bien que les chirurgiens, les insti tuts, les gymnastiques, les fards, les onguents et le reste rajeunissent les vieilles, parachèvent ou transforment le» jeunes. Ma puissance sur les apparences est anéantie. Je garde encore un peu celle-là qui s'exerce sur les esprits et les caractères ; mais je ne.transforme plus les bons et les vertueux en êtres ravissants. Mille procédés sont usités pour cela qui n'ont rien à voir avec les mérites. Je règne encore un peu sur l'illusion, le génie, le rêve... sans quoi j'aurais cessé d'exister. — Et moi, je dure encore, parce que je gâte par mes maléfices, tout ce qu'ils ont fait d admirable. As-tu vu tout à l'heure, les masques épouvan tables, les tuniques ignifugées ? Ainsi, dans leurs miroirs, sont obligées de s'imaginer déguisées un jour ou l'autre, les créatures les plus heureuses et les plus belles. Cela me fait bien rire. — Où liabites-tu ? — Un peu partout. — Moi, de même. Hélas ! te souviens-tu du temps où les lumières qui s allumaient toutes seules dans le château de la Chatte Blanche étonnaient le prince jusqu'à l'émer veillement ? Quand je rentre le soir en ma chambre d hôtel, je tourne un bouton et je comprends toute inon inutilité actuelle. — Bah ! Ma fée, console-toi en pen sant à moi, la sorcière... Ils nous ont détrônées. Us ont I électricité, la T. S. F. et cent autres merveilles... Mais ils ont aussi les gaz asphyxiants et les explosifsGérard d'Houville...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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