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Le Gaulois, 25 octobre 1874

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Le Gaulois
25 octobre 1874


Extrait du journal

çai de deux pas et je vis, par une porte ou verte, une salle un peu moins exiguë que la première, toute remplie de monde. Là se trouvaient deux ou trois hom mes d'assez piètre mine et d'un âge indécis ; il y avait aussi des enfants malingres, que leurs mères tenaient sur leur genoux. Je ne vous dirai pas quels types étranges étaient rangés le long de ces murs, quels affaissements physiques et moraux trahis saient ces visages blêmes. Le demi-jour de la pièce donnait aux malades un aspect en core plus désolé ; on eût dit des ombres attendant que Caron leur fit passer le Styx. Le silence qui régnait dans cette compagnie était profond ; il n'y avait pas un seul des assistants dont le regard ne fût fixé k, terre. Quelquefois une paupière se soulevait et semblait interroger la porte par où le guérisseur devait apparaître. Cette porte s'ouvrit enfin, et il entra. II y eut un soupir de soulagement. Je ne l'avais jamais vu. C'est un homme de taille moyenne, assez bien bâti, qui porte la tête et le cou un peu en avant. Il a un œil qui pénètre dans le secret des ma ladies. Je reparlerai tout a l'heure de cet œil, qui est fort remarquable. Le visage, très pâle, est ombragé d'une barbe noire taillée en pointe; les cheveux aussi sont noirs et vigoureux. Le nez est très effilé, la bouche a un sourire amer. C'est un très beau type de médium. Le zouave n'est point vêtu en zouave ; ce qui me cause un vif déplaisir. Il porte un pantalon k carreaux, une redin gote, un gilet; il a une chemise, un faux col, et est, cravaté comme le premier venu. 11. vient se placer, sans mot dire, dans l'embrasure de la porte qui sépare les deux pièces ; il regarde bien tout son monde; puis il s'adosse au chambranle, enlace ses doigts, laisse tomber ses bras, ainsi rivés l'un k l'autre. Le regard suit la direction des mains et des bras et devient fixe. Plu sieurs dames commencent à trembler. Quand il fut bien chargé de fluide, l'œil du zouave se souleva lentement; son front se plissa entre les deux orbites. Un frisson •parcourut les deux salles. Pendant plus d'une demi-heure, chacun sentait peser sur lui ce terrible regard ; la plupart des ma lades étaient dans une sorte d'attente in quiète. Sur quelques visages on lisait : « Est ce aujourd'hui que le miracle va s'opérer? » sur d autres : « Je suis sûr que c'est au jourd'hui! » sur d'autres : « Ce sera au jourd'hui ou la semaine prochaine; mais ce sera. » Seuls, les enfants ont l'air de s'ennuyer. On n'entend qus le bruit de deux ou trois poitrines haletantes. La chaleur qui se dégage de tant de personnes réunies en un si étroit espace, devient moins accablante; il semble qu'autour du zouave l'air se soit épuré. Derrière uni rideau, des gouttes d'eau tom bent une k une, avec le bruit monotone et régulier d'un pendule. Au dehors, le fleuve fait entendre un large murmure. Une petite v vieille que j'ai près de moi s'abandonne à une douce somnolence ; elle.laisse tomber sa tète sur mon épaule. Il est certain qu'à ce moment les deux petites salles regorgeaient d'esprits. Chaque malade en avait plusieurs autour de lui ; le zouave en était rempli. Son visage avait une expression douloureuse ; on aurait dit qu'il ressentait toutes lès maladies rangées autour de lui. Il sortit enfin de son immo bilité et s'approcha de chacun de nous; c'est à ce moment que son regard devint extraordinaire; il plongeait dans celui du malade et fouillait profondément dans tou tes les' parties de son corps. A celui-ci, le zouave disait : « Vous avez le cœur trop " gros, je le vois; » à celui-là C'est votre estomac qui souffre. Mon pauvre mon sieur! vous étés saturé d'opium; je vois de l'opium dans tout votre corps. Madame, j'aperçois, une tumeur dans votre ventre ; elle est là, du côté gauche.—Vous, madame, vous avez la jambe droite enflée. Vous, mademoiselle, vous souffrez dans la tète ; vous y avez un mauvais esprit ; je le chas serai. » _ . Il arrive devant une campagnarde, et lui dit. : Levez-vous ! Monsieur, dit, la pauvre femme, je ne puis me lever. ; Je "sais que vous avez mal dans le genou ; 1 mais levez-vous et venez près de moi. » Comme elle n'en faisait riën, Jacob la prend par les deux mains, l'amène au milieu de la chambre et lui dit : « Pliez les genoux !•» E'ie les plie. « Relëvez-vous ! » Elle se re lève.. Il faut dire que le zouave-fait les mê mes mouvements que la femme. Quand celle-ci revint k sa place; elle était guérie. Les cures cependant ne sont pasjouiour? instantanées ; il y a des; mariés a qui les esprits sont um pGii rebelles ; mais il est certain que, toute proportion gardée, la Fa culté ne guérit pas aussi souvent ni aussi vite que le zeuave Jacob. Quand il a terminé ses opérations mysti- 1 ques, celui-ci, d'une voix douce et très sym pathique, donne des conseils d'hygiène; il' dit qu'il ne faut pas manger sans faim ; ' qu'il ne faut jamais boire sans soif. Il a la viande en horreur ; k ses yeux, la viande est la source de nos maux et depos mélan- * colies. 11 recommande de se nourrir de lé-: gumes et de poisson. 11 cite volontiers l'exemple de quelques animaux qui n'ont pas besoin de viande pour se bien porter. Si, malgré cette hygiène, on est atteint de quelque'infirmité, il n'admet d'autres me- ' decins que les esprits. 5 Il vend ou il donne un petit livre qui ex plique comment Je seul agent de guérison est un fluide émanant des esprits supérieurs. Le zouave est d'avis que tout le monde, plus î ou moins, a le don de guérir ; il suffit de se ■recueillir, d'avoir la foi et Ja bonne volonté. Cette doctrine est peut-être fort singulière et déplaira beaucoup aux apothicaires, qui J ne peuvent tenir les esprits dans leurs bo caux; mais elle est exquise en ce sens qu'elle suppose un grand amour de ses semblables. Le zouave vous dira qu'il faut aimer ceux que l'on veut soulager, et qu'on n'est guérisseur qu'à la condition d'aimer son prochain autant que soi-même. Ecoutez •ses paroles : « Le sentiment de l'attachement par la charité, qui rallie successivement tout ce qui vit et respire dans Ja création, seul peut trouver un écho auprès de ces êtres qui or-...

À propos

Lancé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868, le journal de droite Le Gaulois se définit comme un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Sans surprise, son lectorat, assez limité, appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, le journal est absorbé par Le Figaro.

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