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Le Gaulois, 6 octobre 1884

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Le Gaulois
6 octobre 1884


Extrait du journal

Dans la mêlée des êtres et la confu sion des choses, une vertu était restée. Elle passait sainte, humble, frôlante, en des vêtements chastes, le front discrète ment voilé par les blancs plis de sa cor nette. Elle murmurait sur son chemin des paroles consolantes et de douces prières. Il semblait que cette vierge dût toujours marcher ainsi, à les souffrances qui implorent et les bénédic tions qui remercient. On l'a profanée. Promenée de bouges en théâtres, de bals en jardins publics, exhibée sur les tréteaux avec du fard aux joues, du rouge aux lèvres, du bistre impudique sous les paunières, en jupes courtes et en mail lots~pailletés, elle a appris le geste obs cène et la voix canaille avec lesquels on fait de l'argent. Elle veut les foules immenses qui ap plaudissent, l'éclat du grand soleil qui aveugle, l'apothéose des lumières élec triques qui enthousiasme les cœurs. Et, quand elle a fini de s'égosiller dans les foires, avec ses pitres, ses montreurs d'ours et ses filles, lasse d'avoir dansé, lasse d'avoir hurlé ses boniments devant les baraques peinturlurées, la tête alour die de vin de Champagne, elle se repose. Elle se repose et elle ferme son guichet aux sollicitations importunes. Elle ne se réveille pas au gémissement proche des victimes, que la vie brise, à toutes les minutes ; elle n'entend pas la prière des pauvres êtres abandonnés qui demandent du pain. Ce n'est pas elle qui s'en va, mystérieusement, dans les demeures puantes que la souffrance habite, visiter les moribonds, apaiser les désespérés, réconforter les veuves et les orphelins. Que lui importent les ouvriers broyés par les machines, brûlés par la flamme, étiolés par les souffles malsains de l'ate lier, harassés par la besogne éternelle et maudite?Si ces hommes encore avaientvolé non pas sur les carrefours déserts, mais dans les banques et à la Bourse, si ces femmes s'étaient prostituées, non pas sur les trottoirs, mais sur les théâtres! Alors on verrait. Car elle choisit ses vio rnes, des victimes décoratives desquelles on peut tirer honneurs et profits. « Ob tiendrai je un ruban, un titre de comte italien, de baron grec ? Echangerai-je des politesses avec les ambassadeurs, des correspondances avec les ministres, et puis-je espérer qu'un roi, au nom de ses sujets, m'enverra des remer clments? » Voilà tout ce qu'elle se dit. Et, suivant que dans tel pays on a plus de relations, suivant qu'on peut intri guer davantage, dès qu'une catastrophe s'y produit, c'est ce pays qui servira de centre et de prétexte à cette exploitation quand même il serait notre plus mortel ennemi, et dût-il accueillir ces avances par un redoublement de haine et de mé pris. Qu'elle se repese donc, cette charité cabotine, qui voudrait étouffer le bruit des larmes suppliantes sous l'indécence de son rire, et calmer les douleurs qui se tordent au fond des géhennec sociales, par la gaieté criminelle de ses entrechats; qu'elle laisse pourrir, sur le dernier de ses tréteaux, le dernier de ses oripeaux de théâtre et de ses déguisements de car naval. Il ne manque pas, Dieu merci, de charités discrètes et d'aumônes sans ta page, pour soulager nos misères et venir en aide à nos malheurs. Nous serons sûrs, au moins, que cet argent ne disparaîtra pas en notes de restaurait, en gonflement de ballons, en frais extraordinaires, et ne sera pas destiné à payer la carte des plai sirs des joyeux commissaire^-de ces fêtes et des jolies ballerines qui les accompa gnent. D'ailleurs, le public a le sentiment qu'on le trompe, qu'on se moque de lui, et qu'il ne sert que de ridicule jouet en tre les mains de ces bateleurs de la bien faisance. Il pourrait bien, un jour, se ré volter et envoyer sur les joues fardées de la charité, comme à la pire des cabotines, des pommes cuites et des injures....

À propos

Lancé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868, le journal de droite Le Gaulois se définit comme un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Sans surprise, son lectorat, assez limité, appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, le journal est absorbé par Le Figaro.

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