Extrait du journal

Noël n'est pas seulement une grande fête pour le monde catholique et le monde protestant d'Europe ; elle l'est aussi et avec plus de pompe et de liesse encore pour le monde orthodoxe, en Russie surtout. La veille de Noël, dans tout l'immense empire moscovite, est un jour, de jeûne qui ne finit qu'avec l'apparition, au fir mament, de la première étoile. Un peu avant minuit, les familles se réunissent autour d'une table chargée de plats nombreux. Seuls, les amis intimes et les proches parents sont invités à ces agapes pantagruéliques. Les mets, — in variablement au nombre de dix-huit, — se composent de poisson fumé, mariné, confit, conservé, séché, etc. Les convives pe se mettent à table que lorsque les dix-huit plats ont fait leur apparition, les ans à côté des autres, et que les samovars flambent. Le café et le thé sont servis sans lait; car ce seraitcommettreungros péché que d'absorber quoi que ce soit de fras, en cette nuit de fête et de mystère. es maîtresses de maison ont pris soin d'étendre un tapis de foin sous la nappe, pour rappeler que le Christ est né dans une étabîe sur une litière de paille et d'herbes sèches. Sur les tables des riches, le Champagne coule à. flots. Dans toutes les pièces habitées, les icônes sont découvertes et scintillent sous le feu de petites lampes allumées devant elles. A quatre heures du matin, les cloches s'ébranlent partout et sonnent à toute , volée jusqu'à dix heures, j Alors commence l'office de la Nativité. Les voûtes des basiliques et des cathé drales sont étoilées de mille lumières et résonnent harmonieusement sous les chants d'allégresse ; les iconostases et les images bibliques étincellent. dans leurs vitrines multicolores. La noblesse, le moaide des officiers et la. bourgeoisie assistent à. cette cérémonie imposante vêtus de leurs plus somptueux uniformes et de leurs richissimes habits . de gala. Les ieunes femmes sont en robes blanches et.lès dames âgées en riches costumes de couleurs claires. Les pauvres endossent, pour la cir constance, leur costume le moins usé, ju'ils ont soigneusement nettoyé, les moujiks (paysans) brillent dans leur cos:ume national, comme si le Petit-Père (le Tsar), qui est pour eux un second Créa teur, les avait invités à la cour. *** L'arbre dè Noël est de rigueur dans les familles russes. Jusqu'au 1" janvier (14 janvier nou veau style), le sapin, orné de bibelots, de verroteries, de fruits naturels et dorés, de petites bougies de cire multicolore, etc., est illuminé tous les jours. Il est d'usage que l'on visite, de famille en famille, l'arbre de Noël. Les visiteurs se déguisent,et se masquent. Lorsqu'ils vont frapper à une maison amie, un seul ionne son nom et le maître de la maison it sa famille doivent deviner l'identité des autres personnes. Dès que toutes ont Été reconnues, on se met à table. Après le repas, une sauterie est improvisée. On danse; on se trémousse ; puis on repart en chœur, visiteurs et visités, intriguer d'autres amis. A Saint-Pétersbourg, à Moscou et dans les autres grandes villes, cette coutume est générale pour les gens de tout âge. Dans les campagnes et les petites villes de province, elle prend les proportions d'un voyage qui commence le lendemain de Noël et dure parfois quinze jours. Les traîneaux suivent les traîneaux ; les cochers font claquer leurs fouets ; les sonnailles dés harnais tintinnabulent joyeusement et les petits chevaux noirs fendent l'espace en des courses vertigi neuses. Ils s'arrêtent devant chaque château qu'ils rencontrent. A minuit, un...