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Le Petit Marseillais, 15 août 1882

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Le Petit Marseillais
15 août 1882


Extrait du journal

La cour d’assises de Versailles vient de con damner Fenayrou à mort, sa femme aux travaux forcés à perpétuité, son frère à sept ans de la même peine. Tel est le dénouement de ce drame de Chatou qui a fait tant de bruit et dont les débats, devant la justice, ont passionné l’opinion publique plus vivement encore que la crise ministérielle ou la question égyptienne. Su’y avait-il cependant, au fond, de si extrainairement intéressant ? C’est en vain que l’on chercherait lequel des héros de ce drame sauvage est digne de quelque pitié. Lucien Fenayrou, il est vrai, était, comme l’on dit vulgairement, « plus bête que méchant »; cependant, la bêtise qui va jusqu’à prêter son concours à une méchante action, mérite d’être punie, à condition, bien entendu, de bénéficier des circonstances atténuantes auxquelles elle a toujours droit dans la vie Quant au pharmacien Fenayrou et à sa femme, ce sont d’assez vulgaires coquins pour lesquels nous ne nous expliquons pas l’intérêt qu’une partie du public n a cessé de leur témoigner. En revanche, on a été assez dur pour la victime que,généralement,on a trouvée peu intéressante. Il ressort, en effet, du procès, que ce pauvre Aubert n’apportait pas, dans ses relations ga lantes avec sa patronne, toute la délicatesse prescrite par le code des gens du monde. Mais ceci n’est qu’un détail bien secondaire. En tous cas, si Aubert a péché d une façon quelconque, il a sûrement pêché moins gravement que les autres personnages du drame : c’est cependant lui qui a subi la peine la plus forte, puisqu’il a été exécuté avec un raffinement de cruauté que ne connaîtra pas Marin Fenayrou, en admettant qu’on l’exécute à son tour, ce qui n’est pas abso lument certain. Celui-ci a l’espoir d’un recours en grâce, que n’a pas eu Aubert dans ses der niers moments. C’est par suite d’une forte altération du sens commun que l’opinion publique juge les accusés plus ou moins coupables, selon que la victime est plus ou moins intéressante ; à ce point de vue, l'affaire Fenayrou est particulièrement remar quable ; elle est d’autant plus remarquable que, cette fois du moins, le jury a su résister aux sentiments faux et dangereux que manifestait une partie du public, pour prononcer contre les accusés un verdict sévère, mais juste. Il ne parait, du reste, pas du tout prouvé que Fenayrou ait assassiné Aubert si froidement, si sauvagement et si lâchement, parce qu’il avait acquis la conviction que non seulement son élève recevait les faveurs de sa îemme, mais encore 3u’il recevait d’elle des boites de pilules bourrées e pièces d'or. Voilà pourtant sur quel fait, assu rément peu délicat, se fondaient les âmes chari tables qui plaidaient les circonstances atténuan tes pour Marin Fenayrou. Le jury de Seine-etOise a eu assez de bon sens et assez de fermeté pour ne pas admettre une théorie qui, si elle se répandait dans un certain monde, permettrait de jeter à l’eau, comme une nichée de chats nou veau-nés,tous les hommes suspects d’appartenir de près ou de loin à la catégorie des «Alphonse. » C’est en outre le seul point mal établi de l’af faire, que celui qui traite des petits cadeaux offerts par Gabrielle Fenayrou à Aubert. Par contre, la conduite de celle-ci, parfaitement bien établie, ne méritait que de bien légères circons tances atténuantes. A vrai dire même, nous ne voyons pour elle qu’une circonstance atténuante : c’est sa merveilleuse et abominable présence d’esprit ; c’est surtout l’esprit d’ordre et d’écono mie qui ne l’abandonne pas, même quelques heures avant le crime. C’est elle qui fait observer qu’il est inutile de prendre un billet d’aller et retour pour Aubert ; « un billet d’aller suffit, dit elle ; il n’aura pas besoin de retourner. » Voilà de l’économie ! — C’est elle encore qui, en vagon, tandis qu’elle mène Aubert à la boucherie, cause avec lui « de choses et d’autres ; » sans doute de la politique extérieure ou des produits pharma ceutiques les plus en vogue.Voilà du sang-froid! Quant au mari,on aurait pu lui trouver aussi une petite circonstance atténuante dans le regret très profond et très sincère qu’il a manifeste, à plu sieurs reprises, d’avoir, non pas assommé Au bert, mais d’avoir si mal calculé la quantité de plomb nécessaire pour retenir son cadavre au fond de la Seine. Il ne se pardonne point, en sa qualité de pharmacien, l’erreur grossière com mise dans le problème de chimie et de statique qu’il s’était posé, afin de mieux savourer ce qu’il appelle «- sa vengeance » ; il ri’a pas tenu un compte suffisant des gaz que dégage un corps en décomposition et qui lui donnent une flotta bilité relativement considérable. Tel est le tort de ce mari malheureux, et il dé plore ce tort avec une franchise qui ne peut que faire apprécier aux coquins de l’avenir les bien faits de l’instruction obligatoire....

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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