Extrait du journal

celles dont la lune l'enveloppait, la huit, avec ses bras fluides couverts de voiles pailletés comme ceux d’une princesse orientale. Pourtant, lorsqu’il eut quarante-cinq ans, Lunaire se repentit. Oh ! un visage vivant, un vrai, de ceux qui parlent, une bouche qui soupire, des yeux qui s’illumi nent de bonheur, et, sous tout cela, un corps, un joli corps tiède qui palpite, ploie et sente bon la vie !... Non, non, il ne pou vait plus se contenter de l’amour de la lune... * i Et ce fut vers une blonde gracile de vingt ans qu’il se tourna. Comme elle étaitbelle celle-ci ! Tellement belle qu’un reflet de sa beauté déteignait sans doute sur les êtres d’alentour et que Lunaire, dès qu’il l’aima, devint presque beau. Il le fut tout à fait peut-être quand il murmura sa déclaration, de sorte que la blonde jeune femme fut touchée et lui fit l’aumône d’un sourire, d’un de eès sourires longs, longs et lumineux qui semblent ten dre le cœur à leur bout, comme un fruit mûr qui pend à l’extrémité d’une branche. Et, après avoir fait pendant six mois une cour ardente, Lunaire eut la gloire de cueillir le cœur, délicieusement, dans un geste doux, religieux, qui sembla faire tomber tout le paradis sur ses épaules. Ce fut, par une nuit sans lune et sans étoiles, une nuit fort sombre où Ton ne voyait rien à quatre pas. Quand il sortit de chez sa blonde con quête, Lunaire crut entrer dans une mer d’encre. C’était à la campagne, loin de tout village. Aucun réverbère ne trouait les ténèbres. Lunaire dut s’en retourner à tâtons, parmi les arbres, le long de che mins mal tracés. Oh ! si la lune avait dai gné, comme tant de fois, lui faire un brin de risette, là-haut ! Mais la lune n’était pas au ciel cette nuit ; elle n’y serait peut-être jamais plus pour Lunaire. Au tournant d’une pente, un brusque tournant qu'il n’avait pas vu, Lunaire per dit pied tout à coup et tomba, parmi des pierres, dans le lit d’un ruisseau desséché. C’est là qu’on le recueillit le lendemain matin. M avait deux côtes défoncées et une entaille à la tête. La nuit suivante, à minuit, la gardemalade chargée de veiller sur lui somno lait dans un fauteuil, quand elle se réveilla en sursaut. Elle ouvrit les yeux et demeura ébahie. Que voyait-elle ? Une lumière, une grande lumière jaune, qui emplissait toute la chambre, qui éclairait le lit de Lunaire comme un autel un jour de Pâques !... La lune, la lune énorme et toute proche, sem blait-il, comme si elle avait voulu entrer par la fenêtre... Une terreur mystérieuse s’empara de la garde-malade et la fit crier, la fit courir vers ce lit blanc dans lequel agonisait un homme. — Oh ! monsieur 1 monsieur ! §oiif!rezvous davantage ? Que sq pas$£-t-A4 ?,D’où vient tant d» lumière ?... Mais ces cris, ces paroles ne firent rien remuer sur le lit blanc. Il n’y avait plus là qu’une dépouille d’homme, un être rigide, sans chaleur, sans souffle, et dont les yeux s’étalent retournés dans l’orbite, n’ayant plus rien à voir en ce monde. Derrière un nuage, la lune se cachait, peu à peu ; et sa clarté, s’éloignant gra duellement, se perdait dans la campagne, sans bruit, comme la robe d’une visiteuse furtive, qui emporte une âme. JEAN RAMEAU....