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Le Petit Marseillais, 22 janvier 1895

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Le Petit Marseillais
22 janvier 1895


Extrait du journal

lis d’arbres, le remue-ménage a commencé : tout piaille et se trémousse. L’heure est déli cieuse de poésie et de fraîcheur. Il y eu a ainsi pour une heure et une dizaine de kilomètres. Apres, c’est la zone chaude et, d’ailleurs, le soleil est bien levé. Il commence à verser des torrents de lave impalpable, mais incandescente. Saint-Denis n’est plus qu’à deux cents mètres au-dessous. Les cris des marchands s’entendent déjà. Les porteurs rencontrés vont moins vite. Ceux qui possè dent une chemise l'ont rabattue entièrement sur leurs reins, et ia peau noire ruisselle et fume. Finie, la bonne et matinale fraîcheur; le soleil est trop près et le Brûlé trop loin. Sans les mouches altérées qui l’aiguillonnent, Faraud lui-même deviendrait morne. 11 me semble que je m’enfonce dans une fournaise, tant est sensible l’accroissement progressif de la chaleur. Les immenses Flamboyants de la ville, qui étalent de toute part leurs dômes écarlates, ressemblent à de gigantesques brasiers. Le soleil, de là-haut, les tisonne avec ses rayons aigus. Les escargots ont disparu prudemment ; les caméléons se mettent en campagne et sillonnent la route, la queue tendue, rapides comme des éclairs. Plus de cardinaux, plus d'oiseaux-mouches. D’effrontés moineaux bravent seuls la grande flambée qui commence. Quelques chiens faméliques et rongés de lèpre traînent leur misérable car casse sous l'incendie de lumière qui semble cuire leur vermine et fondre leurs plaies. Cette fois, c’est la ville. Est-ce une cité humaine, est-ce un cercle de l'enfer, est-ce tout simple ment une poêle à marrons? Le fait est que tout y rissole : plantes, bêtes et gens. Les femmes de couleur, qui font une invraisem blable consommation de poudre de riz, ont beau chercher à se blanchir, les torrents de lumière et les ruisseaux de sueur ont raison de tous leurs artifices. Avec un semblable soleil, c’est toujours la même nuance qui s’impose : le verre fumé. Il en sera ainsi jusqu’au coucher du grand bourreau. A midi, chacun tire la langue comme il peut. Et tandis que les créoles croquent des piments pour se rafraîchir, les poutres cra quent, les toits grésillent sous l’averse de plomb fondu qui tombe de l’astre furieux. Ce n'est plus Saint-Denis sous ses tamariniers, c’est saint Laurent sur son gril. A 5 ou G heures du soir, je me dépêche de remonter avec Faraud,qui ne se fait pas prier pour prendre son mors. Car à Saint-Denis,une fois la nuit tombée, d’ignobles vols de cancre lats, de sanguinaires légions de moustiques s’abattent dans les maisons, traînant à leur suite l’insomnie trempée de sueurs nocturnes. N’allez pas croire, cependant, que tout soit crématoire au fond du four dyouisieu. On se défend encore assez bien contre la fusillade de I astre ennemi.La mer apitoyée donne sa brise, lajnvière fraîche alimente les douches et rem plit les baignoires, de bons et braves arbres tendent aux enfants de la fournaise leurs fruits juteux et secourables, les pharmaciens s’épui sent à fabriquer de la glace, et les cuisiniers font des sorbets. A l’ombre, avec la brise, 35 degrés centigra des sont, en somme, assez supportables. Puis, on passe une partie de la journée dans l’eau ou sous l'eau. Rien n’est varié comme les sys tèmes de douches en usage chez les habitants qui ne veulent pas se laisser entièrement fricasser dans le chaudron dyonisien Les mai sons d’ici sont pourvues d’appareils à douches tout comme vos maisons d’Europe sont gar nies de cheminées. Seulement,depuis la cham bre hydrothérapique, luxueusement aména gée, jusqu’au tonneau à flcelle sous lequel on se fait arroser, il existe des installations de tout genre. Il en est qui, faute de mieux, vont tout simplement s'accroupir sous un robinet de lavoir. L’essentiel n’est-il pas d’enrayer la calcination totale de sa peau et de ne point passer trop subitement à l’état de hareng fumé ou de stockfish ? A ce traitement extérieur par l’eau d’arro sage, on vient encore en aide avec les fruits du pays et diverses applications glacées sur les muqueuses de la bouche et de l’œsophage. On ne donne pas ici un dîner estival sans ser vir des sorbets à trois ou quatre reprises, pendant le repas. Au dessert, la mangue glacée triomphe, en tête d’un cortège d’ananas, et couronnée de li-tchis.Vous connaissez l’ana nas. La mangue est un fruit à noyau très sucré, très parfumé et surtout extrêmement juteux. La chair, comme consistance, tient du melon ; comme couleur, de l’abricot. C’est le roi des fruits tropicaux. Le li-tchi est un des plus curieux produits qui se balancent au bout des branches africaines. Prenez un gland; mettez un très gros raisin muscat autour; enfermez le tout dans une gaine ligneuse, mince, grumeleuse à l’extérieur, de couleur rouge, et se détachant sans peine du raisin muscat qu’elle cuirasse ; servez frais sur un lit de feuilles gladiolées. Vos convives n’en auront jamais assez. Tel est le li-tchi. Ce n’est pas sa faute s’il porte un nom pareil. De temps à autre la nature surchauffée, elle aussi, prend son éventail, et tire la ficelle pour sa douche. Cela s’appelle un coup de vent, un cyclone, ou une aratoire. Eh bien, mes amis, elle est fameuse la pomme d’arro soir destinée à rafraîchir l’épiderme de La Réunion ! Ceux qui n’ont jamais vu le déluge, n’ont qu’à y venir. Pendant des jours et des nuits, c’est une succession ininterrompue de seaux d’eau qu’une escouade de géants invi sibles vous jettent violemment sur la tête. Non, l’Europe n’a pas l’idée de semblables cataractes. Les rues sont des rivières, les jar-_ dins des lacs,les vallées des torrents énormes, les maisons des bateaux, et tout le reste des amphibies. L’île nage entre deux eaux. Nous venons d’avoir un de ces cataclysmes humi...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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