Extrait du journal

Le crime d’Albi a eu dans le monde un grand retentissement, ce qui fait que cet incident a été commenté de la façon la plus vive. Mais il n’y a guère de procès criminel un peu important, où les témoins qui vien nent déposer de ce qu’ils ont vu ne soient pris à partie par l’avocat et malmenés de la belle façon. Comme on est bien forcé de subir leur té moignage. qui a été donné sous la foi du serment, on trouve commode de discuter le témoin. On s’en prend à toute sa vie ; on conte qu’au lycée , il a été puni de deux jours de sortie pour un mensonge. On en conclut que le mensonge est chez lui une habitude. Heureux encore si l’on s’en tient à ces billevesées. Trop souvent on épluche son existence, on le peint comme un malhon nête homme, indigne de toute créance. .l’ai entendu, de mes oreilles , un avocat s’écrier : « Messieurs, vous avez vu le témoin ! quel air de fausseté sur cette figure ! comme elle exprime l’hypocrisie et toules les passions basses ? Croyez-vous que l’on puisse ajouter la moindre loi aux paroles d’un homme qui porie un tel visage ?» Le porteur du visage en question était sur le banc des témoins ; et tous les yeux s’étaient naturellement fixés sur lui. Il bais sait la tête, ne s'attendant point à cette al garade, dont il était tout confus et dont il enrageait. S’il avait pris la parole pourtant ! s’il avait crié à cet avocat : «Ah ça, mais, vous. Monsieur, vous croyez-vous donc si beau ? mêlez-vous donc de ce qui vous regarde ! » il est probable que le président lui eût imposé silence, et que peut-être il l’eût fait expulser par les huissiers de service. Et ce pendant, comme il aurait eu raison de se révolter : « Gomment! je suis bien tran quille chez moi, vaquant à mes affaires. La justice vient m’y chercber.EUe me demande ce que je sais d’un fait dont elle a intérêt à démêler la vérité. Ça ne m’amuse déjà pas beaucoup de perdre ma journée, de paraî tre en public, d’être tourné et retourné sur le gril par le président. Mais enfin, c’est la loi de mou pays. Je crois juste d’y obéir. Je fais mon devoir. Je parle en conscience; je dis la vérité aussi exactement que je puis la retrouver dans ma mémoire... Et voilà qu un monsieur en robe me tombe dessus, m’abîme d'épigrammes. me fait passerpour un imbécile, ou pour une canaille ! Mais c'est au président à me protéger contre lui, puisque c'est le président qui m’a mandé à sa barre, qui m’a interrogé, qui m’a sommé de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité. » On parle de la liberté de la défense... Mais ou devrait bien songer à la liberté du té moignage. A la façon dont vont les choses, on ne trouvera bientôt plus de témoins. Déjà beaucoup d’honnêtes gens répugnent à se laisser mêler à ces affaires criminelles. Ils gardent pour eux ce qu’ils savent, quand ils savent quelque chose. Ils s’épargnent ainsi et l’ennui d’une comparution en pu blic, et les suites que celte comparution peut avoir, les perfides commentaires qu’un avocat peut tirer d’un mot échappé dans la déposition, les allusions désagréables qu’il fait à la vie privée. Ce qu'il y a de plus curieux en cette af faire, c’est que les avocats, qui s’emportent a ces excès de défense sont de fort honnêtes gens; il y a gros à parier que celui qui a plaidé pour Durand devant le jury d’Albi, une fois sa robe ôtée et déposée au ves tiaire, s’est retrouvé le plus galant homme du monde, incapable de dire un mot qui pût effleurer la réputation d’une femme, même équivoque. Mais,à l’audience, il n’a vu qu’un client à défendre tellement quellement, et un bon...