Extrait du journal

Un touriste étranger déclarait, après avoir parcouru les régions riantes sous le soleil d été : « Certes, j’admire le culte que vous pratiquez de vos morts. Rien n est plus légitime que de glorifier les héros de la guerre par le signe durable de la piété nationale. Néanmoins, on éprouve line impression singulière à rencontrer ces monuments qui attristent le paysage et le font ressembler à une immense nécropole ^ sur laquelle s'égrènent des tombes. Ne croyez-vous pas qu’il eût été préférable d'établir une sélection, de limiter le nombre et de réaliser, ainsi, pour l’harmonie de tant de beautés naturelles et pour l’agrément de vos bûtes, des œuvres auxquelles l’art eût gagné, au lieu d’en avoir été réduit, souvent, par la force des choses, à ériger de naïfs édifices qui perdent de leur signification grandiose ? » Sans doute, à en juger de son point de vue, l’observation peut sembler juste, mais il ne s'agit pas d’esthétique, dans l'espèce : il s’agit de transmettre le souvenir intégralement, à nos arrièreneveux. Il n’est guère de maison — qu elle se dresse, somptueuse, au milieu de la ville, ou que, délabrée, sous le chaume, elle ait l’air de s’affaisser sur ses assises, le long de la route — qui ne se soit ouverte pour laisser partir le père, le fils, le mari, le frère ou le fiancé. En vain, leur retour a été attendu : ils sont tombés, pour que vivent et servent les nouvelles générations de la France mutilée. Leurs noms, gravés sur la pierre, sont là pour attester de leur sacrifice et pour donner l’ordre posthume de l’amour. La leçon de la patrie ne s'enseigne point par des théories, non plus que par de savantes considérations : Bile est toute simple. Elle s’adresse au sœur, elle parle par les choses familières ïui nous attachent ; elle devient magni fique par la noble fierté qu’elle exalte et impérissable par la reconnaissance que la tendresse de l’aïeule a léguée aux petits-enfants et qui s’est enracinée dans leur âme. Ce ne sont pas les plus modestes parmi ces monuments qui paraissent les plus critiquables. L’hum ble pyramide, avec ses inscriptions en lettres d’or, nous édifie sur la fidélité de la mémoire, bien mieux, parfois, que la statue orgueilleuse et figée dans sa pose convenue., Ne reprochons point aux sincères ce Que les sceptiques nomment leurs fautes de goût. Dès l’enfance, ils ont contemplé les illustrations des hauts faits sur des images d’Epinal et ils se sont béatement écrié : « Çà, c’est joli 1 » en s’enthousias mant pour des dessins maladroits, rehausssés de couleurs criardes. Ils n’ont pas reçu en sculpture, que je sache, une éducation plus poussée et, tout naturelle ment, la fabrication en série les a séduits. Comment n’auraienfc-ils pas opté pour la Victoire aux ailes déployées ou pour l’impeccable Poilu qui va désormais monter la garde, sur un socle qu’orne le coq gaulois, devant la mairie ou sur la Place de l’Eglise ? Qu’importe, pour objet de leurs actions de grâce, la valeur plastique de l’effigie î Le sentiment dont elle est entourée l’ennoblit et suffit pour l’ennoblir.t Plus grave est le problème, lorsque l’on cherche, non seulement à honorer ses héros, mais encore à interpréter leur geste par un symbole. Pénétrez dans l’atelier des statuaires et surprenez-les en pleine conception de leur projet, qui, leur a-t-on dit, sera mis au concours, là-bas, dans une localité lointaine qu’ils ne connaissent pas. La plupart d’entre eux se contenteront d’exécuter une...