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Le Petit Marseillais, 9 mars 1907

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Le Petit Marseillais
9 mars 1907


Extrait du journal

Une épidémie de grippe, meurtrière et sournoise, a désolé, cet hiver, bien des familles sur tout le territoire. A Paris, £u plus fort de la tourmente, près de cent personnes mouraient chaque jour de ce mal. Voyez-vous exactement ce que cela représente ? Pour vous en faire une idée juste, rappelez-vous que les plus grosses catastrophes atteignent rarement ce chiffre. Ainsi le terrible accident du Métropolitain de 1903, qui a laissé dans le cœur des Parisiens une épouvante encore durable, n’a fait que trente vic times environ, et il ne s'est produit qu’une seule fois ; tandis que, avec la grippe, une pareille hécatombe s'est repétée, dans la capitale, chaque jour pendant des semaines. Pensez que la rage, qui a si fortement ému l’opinion au moment des travaux de Pasteur et qui lui a valu des millions pour cons truire son institut, ne faisait guère, jadis, que trente victimes par année. Rappelez que le choléra, dans ses récen tes épidémies, n’atteignait pa£ souvent la proportion des décès grippaux, et évoquez la terreur qu’inspire la peste quand elle débarque à l’un de nos ports européens, où elle se retire après n’avoir emporté — tout compté — qu’une bonne douzaine de malheureux. Comment se fait-il que la grippe nous laisse si indifférents à son égard ? Ah I c'est que nous sommes habitués à elle. Nous vivons chaque hiver avec ce fléau comme avec un voisin désagréable que l'on finit par tolérer sans plus autre ment s’en soucier. Puis ses symptômes sont d’aspect bénin ; le plus bruyant et le plus pénible n'est-il pas encore le rhume de cerveau ? Enfin, la grippe n’effraye pas, parce qu’on ne sait pas au juste ce qu’elle est. Pour les autres fléaux, le profane s’en fait une image assez arrêtée dans ses contours, sinon exacte. Mais celui-ci ne parle pas à son esprit. Et, en vérité, il y a quelque raison à cela. Car les méde cins sont assez embarrassés pour défi nir cette maladie. En laissant de côté des considérations techniques tout à fait inutiles pour la conduite de la vie, on pourra pratique ment comprendre la grippe comme un ensemble de troubles prédominants dans l’appareil respiratoire, ayant un élément contagieux mais se transmet tant à l’occasion du froid. En résumé, la grippe répond approximativement à ce que le public entend par « refroidis sement ». Et sa diffusion provient sur tout de ce qu’on la craint peu sous cet aspect. Ainsi j'ai cent fois observé que les précautions — se couvrir suffisamment, ne pas sortir le soir, s’exposer le moins possible à un froid intense — qui dimi nuent certainement les chances de con tracter cette maladie quand elle règne, sont encore plus capables d'empêcher qu’elle ne prenne une forme grave. C'est un point établi que les grandes grippes font, dans la population saine, plus de victimes chez les adultes que chez les enfants, et plus encore chez les hommes que chez les femmes. La raison en est simple. Si les adultes mâles — qui sont les plus vigoureux — sont les plus frap pés, c’est qu’ils s’exposent davantage aux refroidissements et continuent de mener leur vie extérieure alors qu'ils sont déjà atteints. La femme reste au foyer, où elle n'est pas exposée aux intempéries ; et les enfants, pourtant bien délicats par leurs bronches, sont gardés à la maison dès que le moindre rhume les fait tousser. Le début de la grippe se marque le plus souvent par une fluxion des voies respiratoires supérieures : le nez, l’ar rière-gorge, le larynx et la trachée sont frappés plus ou moins fortement. Alors le patient mouche, tousse, crache, n’a plus d’appétit, se sent fiévreux et perd son entrain. Mais tout cela est souvent assez peu accentué pour que le grippé puisse continuer son travail. Et voilà le danger. Une forte fièvre, qui ne com porterait pas plus de gravité, aurait cette heureuse conséquence de condam ner ce malade au lit. Au contraire, il sort en plein catarrhe bronchique. La muqueuse de? conduits aériens est enflammée, vulnérable. Elle recouvre rait assez vite son état normal si on la tenait dans un air à 15 ou 18 degrés. Or, on l’expose pendant des heures — car l’individu peut bien se couvrir chaude ment, mais il lui faut respirer — à une atmosphère de 5 degrés, de 0 et même plus fraîche encore. En outre, les vêtements épais, suppor tables dans des conditions normales, amènent, dans ces états sub-fébriles, des chaleurs, des transpirations dont le contre-coup se porte encore sur les bron ches, où l’inflammation gagne les peti tes ramifications et le tissu pulmonaire ; et une maladie sérieuse est alors établie. La plupart des gens que j’ai vus mou rir de la grippe — en dehors des valétu dinaires pour lesquels elle n’est qu’un prétexte à terminer une carrière com promise — avaient une histoire calquée sur cette observation schématique. Par besoin ou simple négligence, ils ne s’étaient pas arrêtés dés le début de leur mal. Et, si vigoureux fussent-ils, une broncho-pneumonie finissait par les gagner et les terrasser. Au contraire, tous ceux oui ont été assez timorés pour...

À propos

Fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas, Le Petit Marseillais était le plus grand quotidien de Marseille, affichant un tirage de plus de 150 000 exemplaires en 1914. D'abord républicain radical, le journal s'avéra de plus en plus modéré au fil des ans. Dans un premier temps très local, il fut l’un des premiers journaux à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales.

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