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Le Petit Parisien, 6 décembre 1932

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Le Petit Parisien
6 décembre 1932


Extrait du journal

Quitter Moscou, c'est vite dit. En pratique, l'opération qui consiste à prendre un train sera plus ou moins malaisée selon la catégorie de gens à laquelle vous appartenez. Bien que la guerre déclenchée par les auteurs du plan quinquennal (ou des plans quinquennaux, puisque nous abor dons le second) ne soit qu'indus trielle, l'U. R. S. S., ne l'oublions pas, est en état permanent de mobi lisation générale. Non seulement les chemins de fer appartiennent à l'Etat voies et matériel, comme lui appartiennent les poudreries et les camions automobiles de l'armée, mais l'usage en est réservé, par priorité, à ceux qui voyagent pour les besoins de l'édification « socia liste ». En termes capitalistes : défense nationale. Pour entrer dans un train, il s'agit moins d'obtenir un billet qu'une réquisition. Ces réquisitions bien entendu jouent d'abord en faveur des personnes les plus utiles et des secteurs les plus inté ressants. Un directeur d'usine, un technicien étranger, un ingénieur russe de quelque importance, s'ils ne sont transportés en avion (plusieurs lignes commencent à fonctionner tant bien que mal), trouvent place dans le premier train. Derrière eux viennent les corps de troupe, c'est à-dire les ouvriers d'usine indus trielle ou agricole, et l'immense armée des permissionnaires; ensuite, la masse des voyageurs non qua lifiés. Cette masse, je vous l'ai déjà dit, ne cesse d'augmenter en raison de ce qu'on pourrait appeler « l'inquié tude alimentaire » : un paysan espère-t-il vivre moins mal à cinq cents kilomètres plus loin ? il tente d'y aller. Le nombre de ceux qui voyagent par réquisition s'est accru en même temps à mesure que s'étendait le plan quinquennal. Les moyens de transport, eux, sont loin d'avoir crû en proportion. D'où l'en gorgement continu des voies de communication, phénomène peu connu de la Russie de 1928, cancer presque inopérable. Devant les principales gares de Moscou et dans les salles d'attente, une foule installée, comme partout en Russie, au milieu des ballots d'effets et de provisions attend. Parfois l'on distingue, au milieu de cette foule, le dessin d'une queue de gens assis et qui, poussant leurs hardes, les femmes allaitant leurs enfants, dormant presque, glissent peu à peu, le long des bancs de bois, vers les guichets. Il faut souvent cinq, dix, vingt-cinq heures, m'ont assuré des personnes qui en avaient fait l'expérience, pour obtenir un billet qui donne le droit de quitter Moscou par le train, tel jour, au bout d'une semaine peut-être. Mais la seule réflexion qu'inspirait ce tableau à un membre du parti, en compagnie duquel il me fut offert de le contempler à loisir, était : « Regardez. Quelle activité dans notre pays ! Avez-vous jamais vu cela ailleurs ? » Il l'entendait sans ironie. Un citoyen soviétique subit chaque jour et presque à chaque heure de sa vie le discours suivant : « L' U. R. S. S. travaille pendant que le reste du monde chôme. Nos hauts fourneaux s'allument ; ceux des capitalistes s'éteignent. Nos trains sont bondés: les trains des autres pays sont vides. » Faites-lui observer que le régime des gares soviétiques a, en effet, été épargné aux nations occi dentales sauf en août 1914 parce que ces nations ont passé cin quante ou cent ans à édifier ce que l'U. R. S. S. voudrait construire en une décade, il vous répondra : « C'est ce qui prouve l'infériorité du capitalisme. » Expliquez-lui que si l'on fermait demain les frontières de l'Allemagne, de la France et de l'Angleterre et qu'à l'intérieur de ces pays on mît à exécution un gigantesque programme de travaux financés en papier monnaie, le chô mage aurait disparu après-demain, mais que l'Allemagne, la France et l'Angleterre ne peuvent recourir à ce moyen parce qu'elles possèdent déjà en surnombre les usines et les voies ferrées qui manquent en U. R. S. S., il comprendra mal. Dites-lui enfin que les Russes eux mêmes, malgré leur patience, ne semblent pas considérer comme excellente une situation qui les oblige à attendre huit jours pour quitter leur capitale par le train, il répliquera : « Sans doute. Et à qui la faute ? Aux tsars, qui n'ont pas su construire assez de chemins de fer. Mais attendez un peu. Cela va chan ger. » Plus tard, bientôt : l'éternel mot russe. Pierre FREUERIX....

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Le Petit Parisien est un grand quotidien français, publié entre 1876 et 1944. Il était l’un des principaux journaux sous la Troisième République.

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