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Le Petit Parisien, 15 juin 1932

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Le Petit Parisien
15 juin 1932


Extrait du journal

Excusez-moi, monsieur, je vous cherchais et je ne vous voyais pas. H fait si noir sur votre passerelle quand on est encore ébloui par la lumière du salon. Bonsoir. M. Paquin, premier lieutenant, officier de quart, me tend la main et s'informe : Que font-ils en bas ? Ils dan sent ? Non ! Ce soir il y a course de chevaux et tirage de la tombola. Alors, le tonton doit y être ; il aime bien les courses. Que voulez-vous dire ? Mon interlocuteur éclate de rire, puis il murmure à voix basse pour ne pa3 être entendu du timonier, dont le visage se détache dans l'ombre, éclairé par la phosphores cence du compas : —Le tonton ? Mais, c'est le < vieux », le commandant, si vous préférez. Vous ne saviez pas qu'on les appelait comme ça, dans la marine de commerce ? De chaque côté de la chambre vitrée, à bâbord et à tribord, les matelots de veille se promènent de long en large, en silence, dans de grandes flaques de clair de lune. Le lieutenant appelle l'un d'eux : Kornavo, allez donc dire qu'on éteigne les lampes du pont des troi sièmes classes ; je ne vois pas la route avec cette lumière dans les yeux. Aussitôt le fantôme du matelot s'éloigne. Nous sortons au dehors. Au bout d'un instant, l'ordre est exécuté, la plage avant disparaît dans l'obscu rité. Seules, des lueurs, projetées par le pont-promenade et les phares qui lèchent le bas des cheminées, subsistent encore sur les rotondités des treuils et des mâts de charge, qui tendent leurs bras inertes au dessus des écoutilles. Nous voici appuyés, coude à coude, contre la haute rambarde de la passerelle qui monte jusqu'à la poitrine. Aucun bruit ne vient de la grande carcasse illuminée à laquelle nous tournons le dos. Devant nous, semblable à une coupole aplatie sur l'eau, l'étrave défonce la mer à qua rante kilomètres à l'heure, dans la nuit laiteuse, qui retentit tout autour de nous du bruit des vagues soulevées par la marche. Sur chaque bord, l'écume retombe continuelle ment en tourbillons, pour se calmer aussitôt et former un marbre liquide qui glisse sans cesse, à deux mètres sous la plus basse rangée de hublots.- - - > t. ■ • Le vent gronde à nos oreilles. Cette course folle du navire dans l'inconnu est un spectacle très impressionnant, car il semble qu'il est aveugle et qu'on va voir surgir devant soi la niasse d'un rocher ou d'une falaise où il va se briser. L'imagination travaille ; on croit apercevoir des obstacles qui se dérobent toujours. Sur l'homme qui est à côté de moi et sur lui seul repose à cette heure la responsa bilité formidable de la conduite du bateau. Des centaines de vies humaines, une fortune sont entre ses mains. Mais depuis longtemps son esprit s'est familiarisé avec ce souci, qu'il ne perd pourtant pas de vue un seul instant. Tout en me montrant l'avant du navire, il songe : Vous regardez mon paysage 7 Toujours le même, des années durant :...

À propos

Le Petit Parisien est un grand quotidien français, publié entre 1876 et 1944. Il était l’un des principaux journaux sous la Troisième République.

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