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Le Soleil, 17 février 1892

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Le Soleil
17 février 1892


Extrait du journal

Rentrée maussade. Le temps est aflreux, et, les fiacres devenant introuvables, ce re tour offensif de l’hiver éprouve cruellement nos bons députés, que l’influenza guette. Crottés, mouillés, transis, poudrés à frimas, ils se secouent furieusement sur le seuil de la Chambre, battent la semelle, frottent leur nez, rouges, effarés et lamentables. Us se consolent, toutefois, de leurs mésaventures en constatant qu’ils en évitent de pires et que si le gâchis est dans la rue, il n'est pas dans la Chambre ou, du moins, il ne s’y est pas sensiblement accru. Depuis une quinzaine de jours, ils ressen taient de vagues mais persistantes inquiétu des, et la faute en était aux prophètes. Les gens qui se mêlent de prédire 1 avenir ren daient les oracles les plus sinistres ; à les en croire, la stabilité gouvernementale ago nisait, nous n’avions plus quune ombre de ministère et nous assisterions avant peu à la chute des portefeuilles ; grâce au Ciel, nous ne voyons tomber qu'une avalanche de neige. Les bonnes âmes du Parlement s’en réjouis sent, et nous devons nous féliciter avec elles d'échapper à de si grands malheurs. Nous n’aurons point à verser des larmes sur des ministres défunts, et c’est bien quelque chose ; nous n’aurons pas à trembler pour les jours précieux de leurs héritiers. Il ne fait pas un temps à mettre des ministres à la rue, et nous devrions tout redouter pour ces ci toyens courageux qui, bravant les tempêtes, se lanceraient à travers la ville, dans des fiacres mal chauffés où la neige pénètre et les vents font rage, à la recherche d’autres hommes également désintéressés qui colla boreraient avec eux au bonheur public. En ce moment, une crise gouvernementale serait terrible ; elle allongerait, sans compter les premières victimes, la liste déjà trop Longue des décès et finirait par mettre les médecins sur les dents; il faut attendre les beaux jours. Il semble, à de certains indices, que nos âmes sensibles n’auront ni à déplorer une hécatombe gouvernementale ni à trembler pour tant d’existences qui nous sont chères. Les prophètes de malheur sont de faux pro phètes, et leurs oracles ne valent point ceux de Calchas. Pour notre part, ces augures ne nous ins piraient qu’une confiance excessivement mé diocre. Nous savons où ils se recrutent et comment ils opèrent, et nous avons déjà pu constater bien souvent qu'ils abusent un peu de la naïveté des reporters. Ce sont, dans le train ordinaire de la vie, d'obscurs députés dont nul ne se soucie parce que nul n’en peut rien attendre de bon. Aussi longtemps que les Chambres siègent, ils ont tout juste la valeur d’un de ces zéros qui figurent ano nymes dans le total. Jamais leur personna lité ne se révèle par une parole ou par un acte ; ils votent, donc ils sont, mais ils n’au raient qu'à s’abstenir pour qu’on ignorât leur existence. Quant à savoir ce qu'ils di sent, ce qu’ils pensent et même s’ils pensent, personne ne s’avise de s’en préoccuper. Lorsque les orateurs se taisent et les hom mes d'Etat partent pour la campagne, ces in connus deviennent des manières de person nages. Coiffés d’un chapeau pointu, armés d’un télescope, affublés d'une robe noire constellée d’étoiles, ils prédisent l'avenir et distinguent fort clairement ce qui se cache à nos faibles regards. Sauf ce qui arrivera, ils prévoient et annoncent tout le reste. Les re porters à court de copie forment leur cour et leur font des réclames gratuites. Aussi, ils s’enhardissent, se risquent, se débrident et se lancent. Ce sont eux qui représentent l’opinion publique, et ils ouvrent une bouche grande comme un four pour s’écrier : « La France veut ceci! la Chambre fera cela! » Ceux qui les connaissent n’y sont pas pris, mais les autres les croient sur parole. Et voilà nos gaillards qui donnent des conseils, rédigent un programme, annoncent qu’ils in terpelleront, qu’ils questionneront et tran chent de l’homme d’importance jusqu’au jour où, mis au pied du mur, ils rentrent dans leur silence et dans leur ombre. Ils n’occupent la scène et ne jouent un rôle que pendant les entr’actes. Moins fanfarons et moins bruyants, les ra dicaux consnirent et préparent, dans les...

À propos

Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.

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