PRÉCÉDENT

Le Soleil, 25 juin 1893

SUIVANT

URL invalide

Le Soleil
25 juin 1893


Extrait du journal

Il n’est guère possible de contester, aujourd’hui, l’influence du roman sur les mœurs politiques. Ce diable de roman se glisse partout, — je ne parle pas, bien entendu, du roman littéraire impitoyable ment, sauf quelques rares exceptions, réduit à la portion congrue, — mais du roman qui se lit, de cet ineffable roman qui s’accommode depuis une trentaine d’années, avec les mêmes ingrédients, les memes assaisonnements, et sur lequel on devrait bien finir par mettre un im pôt, ne fût-ce que pour en enrayer, dans de justes limites, la propagation. Nous mourons du roman-feuilleton. C’est une épidémie très dangereuse, et personne encore, dans le monde savant, n’en a re cherché le bacille, — c’est le cas de dire ou jamais le bacille-virgule. Le propre de ce roman nouvelle mode est de distiller en cent cinquante feuille tons ou quatre-vingt mille lignes, quel quefois plus, une demi-douzaine de bana lités qui ne changent jajnais, qui sont toujours les mêmes. Infanticide, adul tère, suppression d’enfant, vol de testa ments, etc., l’on jette tout ça dans la même fiole, et il ne s’agit plus que de re muer violemment avant de s’en servir. Alors il se trouve toujours bienquolqu’un pour dire : « Le roman, c’est l’image des mœurs 1 » De sorte qu’à s’en rapporter à lui, notre monde ne serait peuplé que de voleurs, d’assassins, d’adultères, etc. Mais c’est dans les prisons et dans les colonies pénitentiaires qu’il faudrait faire lire cela ! Au moins, les lecteurs s’y re connaîtraient. La vérité est que les let tres, celles qu’on donne en pâture au peuple, ne sont plus qu’une mixture in digeste, qui fait le bonheur des clients en même temps que la fortune des cou pables. En ont-ils avalé, ces malheureux lec teurs, de ces romans policiers qui finissent par peser sur leur imagination comme un véritable cauchemar! Ça commence par quelque chose d’acceptable, sous la plume d’un garçon do talent ; mais les imitateurs surgissent bientôt et s’enten dent pour fournir la mauvaise monnaie d’une pièce qui n’était pas sans valeur. Heureusement qu’il ne restera rien de tout cela, à moins que sur les rayons de la Bibliothèque nationale ; et encore per sonne n’aura-t-il demain l’idée de les y aller chercher. Ce n’est pas de ces volu mes-là qu’il est permis de dire : « Il est des morts qu'il faut qu’on tue ! » Ils s’en vont de consomption, défunts presque aussitôt que nés, et il ne se trouvera ja mais de chercheur pour en extraire quel ques pages de style à l’u.sage des écoles primaires. En politique, il semble que l’on se plaît à suivre un peu les mêmes errements. C’est avec du roman qu’on met l’atten tion publique en éveil. Si les metteurs en scène ne distribuent pas des prospectus dans les rues, sur les trottoirs, à tous les carrefours, ce n’est pas l’envie qui leur manque. Singes, montreurs do lanterne magique, ils annoncent leur arrivée et fout leurs boniments de la façon la plus outrecuidante du monde. Les badauds les suivent, écoutent cent fois le même pro gramme, finissent par le savoir par cœur et par le répandre à tous les. points de l’horizon. Alors, et forcément, c'est à...

À propos

Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.

En savoir plus
Données de classification
  • millevoye
  • vallé
  • norton
  • ducret
  • déroulède
  • henry maret
  • delahaye
  • floquet
  • lister
  • prevet
  • panama
  • allemagne
  • sancerre
  • paris
  • chambre
  • angleterre
  • londres
  • france
  • algérie
  • tripoli
  • havas
  • norton
  • la république
  • institut
  • parlement
  • union progressiste
  • gau
  • petite république française
  • parti républicain
  • sénat