Extrait du journal

MLL£ JEANNE CHAUVIN si, comme nous l’ont appris les contes de fées, les choses, toutcomme les gens, ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, je voudrais bien savoir ce que se sont dit cette nuit, dans le silence des portes closes, les murs, les bancs, les fauteuils et les pupitres de la première chambre de la cour d’appel. « Comment la trouves-tu ? » aura malicieusement demandé le fauteuil du président, qui aime à rire, au modeste tabouret du greffier. Et le tabouret, très franchement, aura répondu : — Mais très charmante, mon cher, et en tout cas aussi agréable à entendre et aussi forte en droit que la plupart de ceux qui plaident d’or dinaire ici. Je ne regrette qu’une chose, c’est qu’on ne lui ait pas laissé endosser la toge et coiffer la toque. Des jupons, à la barre, cela m’a choqué. — Gomment l’appelle-t-on ? hasarde timide ment un fauteuil de conseiller. — Mademoiselle Jeanne Chauvin, répond en ricanant le buste de la République, perché sur une corniche. Et dans l’ombre, en face du Christ aux bras étendus, Marianne élargit son sou rire : l’émancipation de la femme, avec ses utopies et ses chimères, ça la regarde et ça lui appartient. Eh bien oui, hier pour la première fois, une femme, Mlle Jeanne Chauvin, a élevé la voix dans un prétoire de justice français autrement que comme té moin, déjà comme avocat, puisque pour être admise à prêter serment et pour pouvoir plaider dans la suite, Mlle Jeanne Chauvin a prononcé une véritable plai doirie. Que le champ de bataille do la barre lui soit désormais ouvert ou fermé, on peut dire qu’elle a reçu depuis hier lo baptême du feu. Et pour un bleu, comme on dit à la caserne, Mlle Chauvin s’est conduite en courageux soldat. Dès midi, la première chambre de la Cour est envahie par une foule débor dante et curieuse ; beaucoup de femmes et, naturellement, beaucoup d’avocats : robes des unes et robes des autres, com me si elles étaient déjà sœurs, fraterni sent; l’émancipation féminine, un peu pressée, ne se refuse point à un commen cement d’exécution. Un long remous dans la foule : « La voilà, la voilà! » Et les femmes se bous culent, se haussent sur leurs talons : elles veulent la voir. La voilà, en effet, escortée de sa mère. Mais quelle grâce charmante et quelle simplicité l Cette petite bourgeoise, un bas-bleu ; cette Parisienne, un docteur en droit. Allons donc!...