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Le Soleil, 8 février 1888

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Le Soleil
8 février 1888


Extrait du journal

Le discours pacifique de M. de Bis marck est fort inquiétant. Pacifique, certes personne ne le peut nier. Le chancelier de l'Empire d'Alle magne y démontre que nul ne veut la guerre, que nul n’y a intérêt : Si, dit-il, depuis l’année précédente, la situation a changé, cela a été plutôt en bien qu’en mal. Nous avions alors principale ment des raisons de craindre une guerre qui pouvait nous venir de France. Depuis, un président pacifique en France a quitté le gouvernement, un président pacifique lui a succédé. C’est là déjà un symptôme favo rable que le gouvernement français, pour la nomination d’un nouveau chef do l’Etat, n'ait pas ouvert la boite de Pandore. Nous pouvons donc compter que le pré sident Carnot continuera la politique paci fique dont M. Grévy était regardé comme le représentant. Nous avons vu aussi dans le ministère français s’elTectucr un change ment de grande importance. Les membres du ministère qui avaient une tendance à faire passer leurs projets personnels avant la paix de leur pays et celle de l'Europe sont partis, et d'autres plus pacifiques ont pris leur place. Je crois donc pouvoir cons tater, et je le fais volontiers parce que cj désire, non exciter, mais calmer l’opinion publique, que, du côté de la France, on parait plus pacifique, moins explosif que l'année précédente. Voilà pour la France. Du côté de la Russh), M. de Bismarck est aussi rassuré, aussi rassurant. 11 s’exprime ainsi : J'ai pu me convaincre que l’empereur de Russie n'avait ni tendances belliqueuses contre nous, ni l'intention de nous attaquer, ni le penchant des guerres agressives en général. Je n'ajoute pas foi à la presse, mais je crois et je me confie absolument à la parole du Isar. Les attaques de la presse ne me conduisent donc point à croire que nos relations avec la Russie soient moins bonnes que l’année précédente. Quant à l'Allemagne elle-même : Si la guerre éclate le feu devra être mis aux poudres par un autre; ce n’est pas nous qui l’y mettrons, dit M. de Bismarck. Le sentiment de notre force, la confiance dans nos alliances ne nous empêcheront pas de continuer à travailler avec la môme ardeur au maintien de la paix. Nous voulons la conserver avec nos voisins , notamment avec la Russie. Si je parle de la Russie, il va de soi que nous n’attaquerons pas non plus la France. Si l'initiative de la guerre ne doit vc7 ijir ni de la France, ni de la Russie, nl de l’Allemagne, ni de la Bulgarie, car « la Bulgarie dit toujours M. de .Bis marck, a trop peu d'importance pour qu’on puisse songer à précipiter l'Eu rope entière dans une guerre à son su jet » il semblerait que la paix soit on ne peut mieux assurée et que toutes les in quiétudes doivent disparaître. Il n'en est rien cependant. La preuve, c’est que le chancelier de l'Empire d’Allemagne, après avoir ainsi démontré que personne ne souhaite la guerre, que personne n’y a intérêt, conclut en demandant aux re présentants de son pays de voter une loi exigeant de très lourds sacrifices nou veaux en hommes et en argent. Pour quoi? Parce qu’il ne lui suffit pas d'être fort, très fort, de posséder une armée qu’il déclare la meilleure au monde sous tous les rapports, d'être sûr que « la vic toire lui resterait finalemement » môme s'il faisait la guerre « sans y être porté par la volonté du peuple, » M. de Bis marck veut encore que les forces maté rielles de l'Allemagne soient telles que, leur supériorité sur toutes les autres forcescombinéesdel'Europesoit enquclque sorte mathématique, qu'aucune part ne reste à l’imprévu, etqu'aucunepuissance, aucune coalition môme ne puisse songer à leur tenir tête. Voilà justement ce qui est inquiétant. Il faut bien admettre, en effet, que les autres nations do l’Europe, sans avoir plus que l’Allemagne envie de faire la guerre, ont de puissantes raisons pour différer d’avis avec M. de Bismarck sur le moyen d’assurer la paix. M. de Bismarck voit la suprême ga rantie de paix dans une supériorité écra sante des forces matérielles de l'Alle magne. Il pense que, s'il était le maître tout puissant de l’Europe, personne ne pouvant contrarier son bon plaisir, il n’y aurait aucune raison pour que la paix fût troublée. Le raisonnement ne man que pas de logique; mais les autres na tions sont excusables lors qu'elle s'effor cent d’être en état, sinon de provoquer sans motif plausible le puissant chance lier, tout au moins de ne pas être forcées de subir docilement tous ses caprices. Cela constitue pour elles non seulement un droit, mais un devoir patriotique. Ce devoir, elles le remplissent. Et comme, malgré ses grandes ressources, malgré toutes les vertus militaires et sociales qu’elle peut posséder et qu’a énumérées avec tant de complaisance le chancelier dans son discours, l’Allemagne ne peut cependant pas arriver à dépasser à elle seule toutes les autres puissances de l’Europe; comme la France et la Russie, pour ne parler que de ces deux pays, ont aussi de nombreuses populations ani mées de sentiments généreux, de bons soldats sachant combattre, de l’argent, du crédit et autr* s nerfs de la guerre; comme sans vouloir imposer leurs lois à autrui, elles désirent ne pas s’en voir Imposer d'injustes, il en résulte qu'il y a énormément de chances pour que M. de Bismarck n’arrive jamais à atteindre son idéal....

À propos

Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.

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