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Le Temps, 13 février 1903

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Le Temps
13 février 1903


Extrait du journal

Quel caractère ont-elles eu? N’aurait-on pas eu affaire à une véritable conspiration? Des ques tions multiples se sont posées et le trouble n’a pas diminué quand la Chambre eût statué, au début de la séance, sur la proposition de dis jonction des articles relatifs aux alcools et aux tabacs : par 278 voix contre 209 — après un scrutin public à la tribune avec appel nominal — la disjonction a été repoussée. Ce furent de belles clameurs. Oui, criait-on, la trahison est évidente ! Qu’y a-t-il eu ? Que s’est-il passé dans cette nuit funeste? M. Rouvier a été invité à s’expliquer.: «Il semble, a-t-on dit àla Chambre, que dans la nuit écoulée, nuit que je ne veux pas encore qualifier, une entente serait inter venue entre M. le ministre des finances et des représentants de certaines régions qui étaient, hier encore, nos alliés. Je prétends que nous avons le droit de savoir quels sont ceux à qui on a donné des satisfactions et quels sont ceux qu’on a entendu sacrifier ». M. Rouvier est venu s’expliquer sur ce secret plein d’horreur. . En fait,, le ministre des finances avait tenté, conformément à sa promesse, de découvrir un terrain de conciliation. Du côté des représen tants.des zones, pour les tabacs, l’accord s’est opéré. Quant aux bouilleurs de cru, le ministre a voulu pousser jusqu’à la dernière limite les concessions possibles. En conséquence, il a admis d’exempter de toute déclaration, de toute vérification, de toute prise en charge, « les propriétaires, fermiers et métayers qui, ayant justifié no pas cultiver plus d’un hectare de vigne ou ne pas récolter les fruits déplus de cinquante arbres fruitiers à l’état de rapport normal, distillent chez eux lés vins, marcs, ci dres, prunes et cerises provenant exclusive ment de leurs récoltes ». Du coup, l’immense majorité des « petits bouilleurs » se voit mise à llabri de toute intervention fiscale. Non seule ment, c’est la franchise de l’impôt assurée à cette multitude de contribuables, mais l’immu nité fiscale qu’on leur garantit est accompagnée de l’exonération de toutes formalités vexatoires. Plus de déclaration! Plus de vérification!' Plus de prise.en charge ! C’est presque la liber té absolue de la fraude. Comme l'a fait remar quer M.'Rouvier, « je crois que, si l’on avait un reproche à m’adresser, ce serait plutôt d’être.allé trop loin dans la voie des concessions ». Le gouvernement, a ajouté le ministre, main tient les concessions qu’il a faites, « mais il n’ira pas plus loin ». ' La foule innombrable des petits bouilleurs de cru étant ainsi mise hors de cause, la ba taille allait-elle cesser? On en va juger par cette réplique faite immédiatement a M. Rouvier : « La, lutte que nous avons entreprise pour dé fendre les bouilleurs nous lie tous et doit nous lier jusqu’au bout. Nous avons commencé la bataille et nous la continuerons jusqu'à la der nière limite. » Voilà le ton. De sorte que les sa crifices consentis parle gouvernement auraient été faits en pure perte. On n’économisera pas un discours. On ne retirera pas un amende ment. L’essai d’obstruction se poursuivra, im placable, en dépit des nouveaux douzièmes provisoires qui guettent le budget. Chacun d’eux coûte plus de sept millions,- et, par par suite, rend plus inextricable la situation. Cette considération ne devrait-elle pas toucher les représentants des bouilleurs decru?Tant que « les petits », — « les humbles, » — « modestes et pauvres cultivateurs », (aura-t-on assez usé de ces locutions 1) étaient ou paraissaient en causé, on pouvait concevoir certaines opposi tions. « Les élections prochaines ne seront plus républicaines », disait-on ; le gouvernement était accusé de faire, inconsciemment ou non* le jeu des adversaires de la République. Mais voilà que le suffrage universel des petits bouil leurs est mis en dehors de toute réglementation. La loi nouvelle favorise cés petits contribuables, qui forment de gros bataillons électoraux. Le privilège dont ils jouissaient se voit consolidé, parce que la fraude semble venir d’ailleurs. Dès lors, ne devrait-il pas y avoir unanimité pour l’adoption des nouvelles dispositions, si respectueuses des « petits », et uniquement di rigées contre la fraude ? Le spectacle auquel on assiste est pénible. On voudrait espérer qu’il ne se prolongera pas. Quelque. malentendu doit en être cause. Les députés qui prennent si chaudement la défense des bouilleurs de cru sont, chacun leur rend cet hommage, de très bonne foi. Ils sont convaincus qu’ils servent des intérêts légitimes, et ils né pensent pas desservir l'intérêt public. On doit présumer que, s’ils ont cette conviction, etpuisqu'elie est chez eux absolument loyale, un ex posé méthodique du' projet gouvernemental; des nécessités qui l’ont amené, des privilè ges qu’il maintient, des précautions exactes qu’il édicte, ne serait pas superflu. A tout instant, des exclamations étranges prouvent que la portée véritable de l’œuvre proposée à la Chambre, l’état même du droit actuellement en vigueur, sont choses presque ignorées. Les as sertions les plus singulières, les moins fondées, sont avancées, et elles ne rencontrent, soit du côté du gouvernement, soit du côté de la commis sion, que d’insuffisantes protestations. Les textes eux-mêmes ne sont pas toujours d’une clarté parfaite. Ils ne sont pas tous distribués à temps. Plus l’opposition faite au projet semble mal justifiée, moins on doit lui fournir de prétextes. Les sentiments les plus honorables inspirent certaines résistances : tel le sentiment si pro fond de la propriété individuelle. On doit com prendre fout ce qu’il a de délicat. Avec un peu de tactique et beaucoup de tact, on doit venir à...

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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