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Le Temps, 16 mars 1895

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Le Temps
16 mars 1895


Extrait du journal

La question de l’impôt sur la rente a été po sée, hier, à la Chambre par les socialistes. « Nous devons, a dit M. Sembat, voter une ré solution invitant le gouvernement à défalquer des crédits demandés pour le payement de la dette la somme correspondant à l’impôt à éta blir sur la rente, impôt égal à celui qui frappe à l’heure actuelle les valeurs mobilières. » Que pense-t-on de ce procédé d’exécution ? Il faut, vraiment, se faire une singulière idée, non seu lement des engagements de l’Etat, mais même du mécanisme parlementaire, pour arriver à de pareilles conceptions. Voit-on le gouverne ment, sur la simple injonction de la Chambre, retenant aux rentiers une partie de leurs cou pons ? D’un mot, le rapporteur a fait justice de ces fantaisies. « J’estime assez haut, a-t-il dit, la loyauté du pays et du gouvernement pour m’imaginer qu’on n’irait pas, par une simple proposition, réduire le coupon des rentes. » M. Jaurès a annoncé aussitôt qu’une proposi tion en meilleure forme serait apportée, et elle a vu, en effet, aussitôt le jour. Le gouverne ment s’est vu invité « à présenter un projet sou mettant la rente, dès le budget de 1895, à un impôt égal à celui des autres valeurs mobiliè res »'. Le produit de cet impôt eût été affecté, notamment, à la création d’un premier fonds de retraites « pour les travailleurs industriels et agricoles ». Mais le président du conseil a dé claré de sa place, « que le gouvernement ne peut pas accepter l’invitation de déposer un projet d’impôtsur la rente ».Par264 voix contre 208, la proposition a été repoussée. Bien qu’ayant été émis sans débat sur le fond, ce vote, on peut le dire sans exagération, a une importance con sidérable. Une fois de plus, il affirme l’existence, à la Chambre, d’une véritable majorité de gou vernement. Sur la question de l’impôt sur la rente, les opinions sont faites, en effet. De grands discours pourront être prononcés, ils ne changeront rien aux dispositions des esprits. Chacun a son parti pris. D’un côté, ceux qui entendent respecter le contrat conclu par l’Etat; de l’autre, ceux qui se croient en droit de le violer. Ici ceux qui prennent pour choses négligeables, pour mots vides do sens, le crédit public, la stabilité du marché financier, la confiance de l’épargne dans les valeurs revêtues de la signature de l’Etat; là, tous ceux qui ont mesuré, au con traire, les services rendus à la nation, à sa ri chesse, à son indépendance elle-même, par la faveur dont jouit la rente française. Le jour où la rente serait frappée d’un impôt, c’est tout un passé d’honneur et de probité qui s’écroule rait; l’avenir, au point de vue financier comme au point de vue politique, apparaîtrait singuliè rement sombre. La majorité de la Chambre l’a parfaitement senti. Certaines manifestations antérieures au raient pu faire craindre une décision moins sage. En matière fiscale, il semble si commode .d’être hard il Le système fiscal qui nous vaut des rentrées si régulières, en dépit de leur énormi té, prête à des critiques habituellement couver tes d’applaudissements si faciles! Spécialement en ce qui concerne la rente, il est si tentant de se ménager une popularité de réunion publique en s’élevant contre le prétendu privilège des rentiers. De très bonne foi, enfin, quelques per sonnes peuvent croire à une injustice : il est si rare que, dans ces sortes de questions, on soit allé au fond des choses 1 En fait, si l’Etat a exonéré de toute retenue les rentes, ce n’est pas pour le plaisir d’assurer à une classe de capitalistes un privilège : ■ c’est, exclusivement dans son propre intérêt. Les dé bats qui ont précédé tous nos emprunts sont curieux à relire, à ce point de vue. L’Etat a très bien vu que, s’il frappait de taxes les rentes, il se frapperait lui-même, le public devant alors lui payer moins pour les titres émis. On peut, très exactement, dire que le prix des rentes s’est élevé, dans toutes les souscriptions, en raison de l’exonération promise aux rentiers. Si bien que l’Etat a touché en capital, et non pas seule ment en revenus, le montant des taxes. Il a été le véritable bénéficiaire de son apparente géné rosité. Il a gagné doublement, car, les cours des rentes se trouvant accrus, les conversions sont devenues plus aisées. On serait presque tenté de sourire, quand on entend soutenir que les rentiers ont un privilège fiscal monstrueux. Ils n’acquittent pas de taxes? Sous forme de rete nues sur leurs coupons, non, certes ; seulement, la rente 5 0/0, émise au début de la République actuelle, n’est plus, aujourd’hui, que de la rente 3 1/2 0/0. En d’autres termes, les rentiers su bissent bel et bien, par rapport à leur revenu primitif, une diminution de 30 0/0. Trente pour cent ! Quel impôt eût donné cela ? On a toujours avantage à être honnête. L’Etat en fait l’épreuve. Il a su maintenir son crédit ; il en a été récompensé. Le vote d’hier montre que la Chambre entend rester fidèle aux prin cipes, aux traditions qui ont mérité à la France le renom de probité dont elle jouit....

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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