Extrait du journal

M. Morisset était le fils d’un marchand de toiles de Tou louse. Son pere le destinait à continuer la maison Morisset, qui, sous le Consulat, avait pris des proportions considérables par suite de ses relations avec une foule de marchands forains dont l'industrie consistait à acheter en demi-gros à la maison Mûris se t et aller ensuite revendre en détail dans les campagnes. Mais le jeune Charles ne paraissait que médiocrement flatté de la perspective commerciale qui bornait son horizon. Quoique né dans les derniers rangs de la société et sachant à peine liro et écrire, le père Morisset avait compris qu’il ne pouvait se dispenser de donner à son fils une éducation qui après tout lui serait utile dans les affaires, et il l’envoya à l'école. Mais, si trop souvent les enfants trompent les espérances que l’on a conçues par leur paresse et leur inaptitude, il n’en fut pas de même du jeune Charles. Ce fut même tout le contraire qui arriva. L'amour de l’étude, si rare, du moins chez les jeunes gens, saisit l’enfant, dont l’ardeur révéla un de ces caractères passion nés, capables de grandes choses, et une intelligence qui se dé veloppait admirablement à la lueur d’un travail acharné. Quand vint l’heure de la conscription, M Morisset avait voulu remplacer son fils. Celui-ci s’y opposa avec une ténacité qui dérouta tout à fait les combinaisons paternelles. — Ne vous apposez pas à ce que je parte, mon père, dit-il, le temps n’est pas au commerce, et je serais honteux de voir tous les jeunes gens soldats, tandis que je resterais à l’abri derrière votre comptoir. Je serai soldat : l’occasion est favorable et je vous reviendrai colonel quelque beau jour. —- Mais, malheureux, reprit le père, si tu péris, ne suis-je pas seul au monde , et qui donc m’aimera quand je serai vieux? ’ H Cet argument parti du cœur ébranla un instant le jeune homme : mai» la soif des voyages, des aventures, le désir de iacoonu, et pardessus tout cette ardeur d’apprendre qui formaq le côte saillant de son caractère, l’arrachercnt â ta paix uj foyer, au calme d’une existence obscure. Il partit en 1800. Rltsse assez grièvement à Ulm, en 1805, il revint simple soldat, désillusionné sur la guerre, qui cependant lui avait offert des...