Extrait du journal

Une antique tradition pieuse, lorsque s"esl tue à jamais la voix d’un poète, nous enseigne de dégager, dans le concert confus des universelles apparences, des paroles et des atti tudes de douleur et de deuil; il semble, à chaque fois qu’est tombé un héros harmonieux du verbe et de la pensée, que le caractère suprême dont son génie l’a marqué aux jeux de ses contemporains ait assez profondément participé des forces mystérieuses de la Nature pour qu’elle aussi se lamente qu’un homme ait disparu de la présence des vivants. Les monts et la mer de Sicile retentissent d’invocations véhémentes depuis que le fervent Moskhos a convié le chœur des grandes Muses affligées à gémir avec lui sur la mort soudaine de Biôn. Le son des chansons rythmées ne se dissout jamais à la façon des impalpables poussières qu’un souffle du vent anéantit, mais il survit latent, au fond des mémoires un instant éblouies; il se mêle obscurément à la forme des sentiments etdesrésolutions; il règle les actes par lesquels l’humanité, captive de maints espoirs, gouverne les choses environnantes, tente de dompter les choses lointaines, d’enchaîner les éléments. Les disciples et les amis fidèles seuls conservent le privilège de susciter, à leur vouloir, une réapparition familière des gestes, de la figure et de la voix. Les grandes ombres qui ensevelissent la ma tière corporelle ne sont pas denses à ce point qu’un appel persévérant ne les pénètre; elles se séparent, elles se dissi pent; une lumière nouvelle, plus pure, éclate et inonde de son rayonnement la face devant les yeux reformée et dressée de 3i...